Un centre de recherche de l’INRIA s’est doté d’un plan de travail virtuel. Un joujou de plus de deux millions de francs. ...poustouflant.
C’est le tout premier plan de travail virtuel en France. Installé à Rocquencourt (Yvelines), dans un centre de l’INRIA (Institut national de recherche en informatique et en automatique), ce dispositif permet de manipuler des maquettes virtuelles avec une proximité stupéfiante. Muni d’un stylo à faisceau lumineux et paré de lunettes à cristaux liquides, vous faites face à deux écrans perpendiculaires de 1,10 m et de 1,80 m chacun. Une grosse boule bleue en 3D est projetée sur l’écran vertical. En baissant la tête, vous apercevez sur l’écran horizontal un menu proposant une palette d’outils. Pour valider un choix, rien de plus simple : il suffit de pointer le faisceau lumineux émis par le stylo. Puis de cliquer. Le jeu consiste d’abord à s’emparer de la boule avec la “main-stylo”. Puis de la passer à travers un plan en perspective et de remonter lentement en dessinant, par exemple, un point d’interrogation. Sur l’une des branches des lunettes à cristaux liquides est fixé un “tracker”. Ce minuscule boîtier électromagnétique enregistre les moindres mouvements de tête et les communique à un calculateur qui modifie l’image en temps réel. En clair : on peut "naviguer" dans l’image, celle-ci se réorientant en fonction des déplacements du manipulateur. Le plus impressionnant ? Rapprocher lentement le modèle numérique, jusqu’à avoir l’étrange sensation d’entrer littéralement dans l’objet, et de pouvoir l’examiner dans les moindres détails ! Pour les plus joueurs, un outil loupe permet d’agrandir (en levant le bras) et de diminuer (en le baissant) la taille de l’objet virtuel à l’envi. Ce plan de travail virtuel devrait être relié, via une liaison de 2,5 giga-bits, à d’autres plates-formes de réalité virtuelle de l’INRIA (sur les sites de Rennes et Grenoble). Une interconnexion qui permettra de faire travailler ensemble, sur une même maquette numérique, des utilisateurs distants de plusieurs centaines de kilomètres.
« La réalité virtuelle
Sabine Coquillard, chercheuse à l’INRIA, dirige le groupe d’étude “Interaction 3D”. Interview.
Aujourd’hui où en est la réalité virtuelle ?
Jusqu’à présent, cette technologie s’est résumée dans l’imaginaire du grand public au port d’un visiocasque. Un système imparfait puisqu’on ne parvient pas à voir son corps. En fait, depuis les années 90, les laboratoires testent la projection sur grand écran. Avec différents types de configurations. Il y a, par exemple, les salles immersives où l’image est projetée sur les quatre murs ainsi que sur le plancher et le plafond. Il existe également ce qu’on appelle des murs immersifs (plats ou cylindriques). D’ailleurs, Renault s’est déjà doté de cet équipement pour visualiser ses modèles de voitures. Et enfin le plan de travail virtuel, que nous avons installé à l’INRIA. L’avantage de cette configuration est qu’elle permet une manipulation sur une table et une superposition entre l’espace virtuel et son propre espace visuel. Ainsi on arrive à manipuler le virtuel directement dans son champ visuel. Un outil idéal pour l’ingénierie, avec un confort d’utilisation supérieur aux configurations classiques. L’interaction y est vraiment directe.
Les périphériques ne sont-ils pas encore limités ?
Le plan de travail virtuel va justement nous permettre d’expérimenter de nouveaux outils. Nous explorons différentes pistes de réflexion, comme la possibilité d’utiliser ses deux mains dans un univers virtuel ou d’intégrer le retour sensoriel dans la manipulation. Avec, par exemple, des gants de données qui rendent possible la manipulation des objets numériques à deux mains. Par ailleurs, nous allons travailler avec le Commissariat à l’énergie atomique sur des périphériques à retour d’effort.
La réalité virtuelle est pour le moment l’apanage des industriels ou des labos de recherche très pointus. À quand une diffusion grand public ?
Tout le monde s’accorde à dire que les coûts de ces configurations vont baisser dans les prochaines années. Certains prototypes sont actuellement développés, notamment à Taiwan, et tournent avec des micro-ordinateurs. Mais bon, posséder une configuration de réalité virtuelle dans sa chambre, ce n’est tout de même pas pour demain !