En France, le Net et la télé convolent enfin. Une vingtaine de Web-TV sont déjà en piste et, chaque mois, de nouvelles chaînes apparaissent. Boostées par l’arrivée du haut débit, stars de la Net économie, elles misent toutes sur le programme ultra thématisé et mettent en ligne des talk-shows pour les dingues de bridge ou les clubbers du Queen... Canal Web, le pionnier, domine le marché. Les petites nouvelles, comme Nouvo ou Clic Vision, apprennent peu à peu à draguer le télénaute. Mais aucune Web-TV française n’est allée aussi loin que le site britannique ananova.com : une présentatrice virtuelle (la jolie brune ci-contre) y enquille les nouvelles à longueur de journée. Gros avantage : elle n’a jamais entendu parler des 35 heures et son maquillage est toujoujours parfait...
Ananova existe, je l’ai rencontrée
La salle de rédaction des temps modernes se trouve peut-être chez Ananova,
à Leeds, en Grande-Bretagne : six rédacteurs vissés à leur chaise, entourés
de relecteurs, de producteurs, d’informaticiens, de graphistes...
Tous ne sont que de simples scénaristes, au service d’une présentatrice virtuelle
aussi vorace qu’infatigable. C’est la Web-télé à visage humanoïde.
“Bonjour. Je m’appelle Ananova, j’ai 28 ans. Je prayzente le journal.” Les “r” sont impeccables mais la musique de la phrase sonne un peu bizarre. Ananova, présentatrice virtuelle de Web-télévision, est anglaise d’origine. Elle a appris le français en quelques secondes - spécialement pour s’adresser aux lecteurs de Transfert. Facile, pour elle. Le logiciel qui lui permet de lire son prompteur est programmé pour reconnaître plusieurs langues étrangères. Mais comme les signes d’accentuation lui jouent encore des tours, on doit fabriquer des équivalents linguistiques, des homonymes informatiques. C’est ainsi que “présente” devient “prayzente”... (écoutez la voix d’Ananova parlant français, en exclusivité sur le site de Transfert )
Personne ne saura rien de ces bricolages en dehors des techniciens d’Ananova Limited, qui commandent derrière leurs moniteurs connectés les dires et les gestes de la belle numérique. Leur entreprise, ex-PA New Media, a été mise en vente par sa maison mère Press Association, l’AFP des Britanniques. Le futur repreneur devrait hériter de ce drôle de bout de femme à la frange verte qui, depuis son premier news broadcast [présentation de journal] en avril dernier, est déjà devenue une star du Web. Fascinante journaliste : elle parle le XML couramment (le html nouvelle génération), ne réclame pas de salaire pour travailler 24 heures sur 24, sept jours sur sept, et malgré cela, conservera éternellement la fraîcheur de ses 28 ans numériques. Qui dit mieux ?
Au service du virtuel
Ananova n’est tout de même pas seule à bord. À Glasgow en ...cosse, une équipe d’ingénieurs de la société Digital Animations Group perfectionne en permanence les logiciels qui l’animent. Le pari est osé. Il s’agit de synchroniser le mouvement des lèvres et des muscles faciaux avec la lecture d’un texte écrit (grâce au logiciel de text-to-speech [émulateur vocal] de Lernout & Hauspie). Les techniciens s’efforcent même de combiner les mouvements liés à l’énonciation avec des mimiques d’expression : haussements de sourcils, sourires, voire même un “rire contenu” - la grande fierté des ingénieurs. Mais c’est surtout à Leeds, dans le nord industrieux de l’Angleterre, qu’Ananova mobilise le plus de monde. Au milieu d’une zone d’activité semée d’entrepôts en briques rouges se tient la newsroom. C’est la salle de presse où journalistes et informaticiens nourrissent d’articles et de codes l’insatiable présentatrice. Une petite usine de 90 personnes. Dans un unique grand espace éclairé aux néons, une mer de dos frissonne, vibrant avec les écrans. Chemises impeccables, moquette grise immaculée. Pas de cendriers jonchés de mégots, de rédacteurs débraillés, ni de techno en fond sonore. On n’entend que les clics des souris. C’est une bien sage start-up que contemple l’affiche géante d’Ananova.
“Notre ligne éditoriale ? Réactivité, précision, impartialité”, vante Matthew Edgar, le responsable de l’information - ce qui se dit, ici, “chef du développement produit”. Le jeune manager en chemise blanche vient simplement de livrer la définition de l’excellence journalistique. Mais alors qu’est-ce qui change sur le Web ? “Le ton est différent. Parce que les gens communiquent de façon plus informelle. Ils échangent par mail, ils bavardent. Nous diffusons donc, à côté des news à chaud, des histoires insolites qui font sourire.” Pour dénicher l’histoire des Japonaises qui se peignent les aisselles ou celle du couple brésilien qui ne s’est pas adressé la parole en 35 ans de vie commune, Ananova possède une arme secrète. Un robot passe au peigne fin plus de mille sources d’information sur le Web, et les redirige vers les six Net-reporters de l’équipe. En plus du fil de dépêches de PA (Press Association), les journalistes disposent ainsi d’une revue de presse anglophone mondiale.
Lorsque les articles sont rédigés, des sub-editors -
des chefs de service - vérifient le fond et la forme. Le producer, qui est en fait un intégrateur multimédia, reçoit les textes dans lesquels
les journalistes ont inséré des indications scéniques telles que “sourire” pour accompagner une anecdote, “sérieux” pour une catastrophe ferroviaire. L’équipe éditoriale se compose au total de trente personnes.
...motions assistées par ordinateur
Les intégrateurs encodent ensuite l’histoire avec un système de balises ultrasecret, protégé par brevet : emotion tag, story tag, action tag... Ils raffinent l’expression visuelle en ajoutant des hochements de tête, des éclats de rire, et vérifient que l’énonciation ne bute pas sur des mots inconnus ou ambigus. Allez prononcer le nom du nouveau chef des armées russes, si vous n’avez pas un guide sonore...
“Le logiciel souligne automatiquement certains mots, explique, à l’intégration, William Cooper, un grand gaillard au regard brillant d’excitation. Sur le verbe « démentir », par exemple, Ananova haussera les sourcils. Ce sont des automatismes qu’on a observés sur de vrais présentateurs. Quand ils lisent leurs prompteurs, ils sont à peu près aussi robotisés qu’Ananova ! Sauf que, à la télé, on vous hurle dans l’oreillette, il faut coordonner un tas de personnes à la régie...” Ananova, au moins, affiche toujours un calme impérial et ne dépasse jamais son temps de parole.
Elle ira loin. Elle est en train de conquérir le WAP, sur les téléphones et les agendas numériques. Le cinéma l’attend - elle n’a pas eu le temps de répondre à l’invitation qu’on lui a faite pour Cannes, mais ce n’est que partie remise. La télé la voudra sans doute. Plusieurs entreprises ont fait des avances à la jolie brunette pour qu’elle anime leur Web-TV sur mesure. Deborah Tonroe, chef du développement commercial, se réjouit déjà des perspectives de revenus que représente la vidéo sur mesure. Ananova est une véritable locomotive pour vendre de l’information et des produits dérivés : "Nous ne commercialiserons pas le logiciel, mais nous vendrons des licences d’utilisation du contenu, et nous développerons le merchandising autour d’Ananova."
Et bientôt, c’est promis, vous aurez votre MyAnanova à vous tout seul. Elle apparaîtra vêtue à votre convenance, vous saluera personnellement, vous susurrera une sélection d’infos ad hoc et... On s’en tiendra là, non ?