Le navigateur séminal est mort. La version open source continue via une fondation
modifié le 23 juillet
Netscape, l’un des rares navigateurs concurrents d’Internet Explorer, vient de mourir. AOL Time Warner a en effet annoncé le 15 juillet le licenciement des cinquante derniers développeurs en charge du produit dans sa filiale, soit un dixième de ses employés. La multinationale se dégage également du projet Mozilla, la version open source de Netscape. Mais le navigateur "libre" continuera lui à se développer grâce à une fondation regroupant des développeurs bénévoles qu’AOL soutiendra au moins à court terme.
La relation entre Netscape et AOL aura duré moins de 5 ans. Après avoir tenté en vain, en 1995, de s’allier avec celui qui était alors le leader des navigateurs internet, afin de contrer Microsoft, le fournisseur d’accès américain avait déboursé 4,2 milliards de dollars fin 1998 pour le racheter.
De Netscape, il ne restera que le nom, le logo ayant été ôté de la façade du siège d’AOL après l’annonce de mardi. AOL, reconnaissant la forte image de la marque, assurera le service aux usagers et entretiendra le site Netscape.com. Mais le navigateur ne connaîtra plus de nouvelle version ni d’amélioration. Seule sa version open source, lancée en 1998, continuera de se développer, sous la houlette de la Fondation Mozilla, également créée le 15 juillet.
Internet Explorer m’a tuer
Considéré comme un des pionniers du web, Netscape n’a pas résisté au rouleau compresseur Internet Explorer. Quand AOL a racheté Netscape en 1998, ses parts de marché étaient comparables à celles du navigateur de la firme de Bill Gates. Aujourd’hui, l’Internet Explorer de Microsoft contrôle un peu plus de 86 % du marché des navigateurs, selon les statistiques de l’organisme W3Schools. Il ne reste que des miettes pour Mozilla (5,5 %), Netscape (4 %) et Opera (1,7 %).
C’était en partie pour contrer Microsoft que Netscape avait lancé le projet Mozilla en février 1998, en rendant public le code source de la version 5.0 de son Communicator. En confiant les futurs développements au staff de Mozilla, Netscape pensait obtenir deux avantages : décupler ses capacités d’innovation en demandant la contribution de développeurs du monde entier et infuser sa technologie dans d’autres logiciels. En rachetant Netscape quelques mois après le lancement de Mozilla, AOL avait conservé le projet.
Mozilla, parfois gêné par les dirigeants d’AOL par exemple inquiets de voir incluses des fonctionnalités anti-pub, reste pourtant un navigateur applaudi par le monde de l’internet. Du magazine référence PC World au quotidien britannique The Guardian, les critiques saluent ses fonctionnalités variées (navigation par onglets, verrouillage anti-fenêtres de publicité pop-up), ainsi que les logiciels associés (lecteur d’email, éditeur de page web, messagerie IRC). A contrario, Internet Explorer fait plus souvent parler de lui par ses failles de sécurité.
750 millions de dollars
Les accords entre Microsoft et AOL Time Warner ont scellé le sort de Netscape. Après l’échec des négociations entre Netscape et AOL en 1995-1996, c’était finalement l’Internet Explorer de Microsoft qui avait obtenu le privilège d’être distribué aux millions d’abonnés du premier fournisseur d’accès mondial, malgré la rivalité entre les deux géants.
Au terme de cet accord, au printemps 2001, les renégociations avaient été l’occasion d’un refroidissement du climat entre AOL et Microsoft, jusqu’à ce que le fournisseur d’accès intente finalement, par l’intermédiaire de sa filiale Netscape, un procès pour abus de position dominante au leader mondial du logiciel, qui était déjà poursuivi par la justice américaine pour le même motif. Démarrée en janvier 2002, l’affaire s’est conclue récemment, en mai 2003, par une entente entre les deux groupes. Microsoft a notamment dédommagé AOL de 750 millions de dollars et Internet Explorer a été officiellement reconduit comme navigateur par défaut d’AOL, pour sept ans.
Aujourd’hui, le fournisseur d’accès américain lâche sa filiale Netscape et le projet Mozilla. Ce dernier sera désormais conduit par la Fondation Mozilla, une organisation à but non lucratif présidée par Mitchell Baker, ex-directeur de Mozilla.org. Mitch Kapor, inventeur de la suite bureautique Lotus et défenseur des logiciels libres, en sera le directeur. Les membres, dont dix permanents, seront pour une bonne partie d’entre eux des développeurs nouvellement licenciés.
"Les messages sur les canaux de discussion IRC #mozilla et #mozillazine parlent beaucoup des licenciements. Mais je crois qu’ils auront un impact sur le court terme uniquement. Les développeurs de par le monde - et il y a de très bons - continueront à faire évoluer Mozilla", relativise David Bradley, développeur de Netscape et Mozilla.
"La méritocratie de l’open source"
"Nous avons toujours voulu une organisation indépendante pour Mozilla et nous avons conduit les affaires selon ce qui nous semblait bon pour Mozilla, non par rapport aux bénéfices des contributeurs industriels, clament Mitchell Baker et Brendan Eich dans un forum. Il n’a été jamais été facile de porter deux casquettes. Les conflits sont survenus et sont passés. Nous préferons pour notre expérience continuer le projet sur la base de la méritocratie de l’open source. Il n’y a jamais eu d’autre voie."
La Fondation Mozilla disposera d’un budget de 2 millions de dollars sur deux ans, suite à un accord avec AOL. Elle touchera 300 000 dollars supplémentaires de Mitch Kapor. Le géant Sun Microsystems et le spécialiste du logiciel libre Red Hat envisageraient d’y contribuer.
La fondation Mozilla axera son effort sur le démantèlement du mastodonte Mozilla. Des critiques lui reprochent son code trop lourd et trop fouilli. Il sera séparé en deux parties : un navigateur plus léger et performant, le Mozilla Firebird, actuellement disponible dans sa version beta 0.6, et un logiciel d’email, Mozilla Thunderbird, encore balbutiant.
Le projet Mozilla continuera donc. Espérons qu’il pourra amener de nouvelles innovations, qui manquent cruellement sur le marché des navigateurs actuels, selon Marc Andreessen, cocréateur de feu Mosaïc, le premier navigateur internet, et fondateur de Netscape.