Comment résoudre les conflits transnationaux ? La question était posée lors du colloque international sur le droit et Internet qui s’est tenu les 19 et 20 novembre à Paris
Quel droit s’applique à l’Internet ? La question est vaste et loin d’être encore tranchée. Et c’est bien pour avancer sur ce sujet qu’un colloque international sur le thème " droit et Internet " s’est tenu les 19 et 20 novembre 2001 à l’Assemblée nationale. Organisés par le ministère de la justice en partenariat, l’association Arpège (Association pour le Renouveau et la Promotion des Echanges Juridiques) et l’université Sorbonne-Paris I, les débats ont accueilli les réflexions d’intervenants essentiellement européens et américains. À quelques exceptions : le Japon, l’Argentine et l’Inde étaient également représentés. Parmi les nombreux thèmes abordés figurait l’incontournable question de la résolution des conflits transnationaux su Internet.
e précédent Yahoo !
Sur ce point, les discussions ont convergé vers la nécessité d’une adaptation juridique et de la mise en place d’accords internationaux. Car depuis l’affaire Yahoo ! le débat suit toujours son cours. Le procès - qui a opposé pendant de long mois la Licra (Ligue internationale de lutte contre le racisme et l’antisémitisme) au portail Yahoo ! - a montré qu’une juridiction française pouvait condamner une entreprise américaine dès lors que le contenu en cause (la vente aux enchères de reliques nazies sur le site) était accessible sur le territoire français. Il n’a, par contre, pas résolu la question de l’exécution de cette condamnation. Pourquoi une entreprise, placée sous le régime du droit américain, devrait-elle appliquer une décision émanant du droit français ?
La nécessité d’accords internationaux
Pour Ana Palacio Vallelersundi, présidente de la Commission juridique et du marché intérieur du Parlement européen, " la seule façon de faire face aux litiges sur le réseau est de continuer d’appliquer la loi du pays et d’éviter de mettre en place des mécanismes juridiques qui aboutiraient à reterritorialiser l’Internet ". S’il n’est pas question d’établir une réglementation spécifique à l’Internet, les participants* semblaient quand même converger vers la mise en avant de la nécessité d’établir des accords internationaux. " Il est complètement irréaliste de croire que le réseau puisse s’affranchir d’une régulation ou de mesures gouvernementales " a rappelé Kazunori Ishiguro, professeur à l’université de Tokyo. Une idée fortement reprise par Jean-Jacques Gomez, le vice-président du tribunal de grande instance de Paris et juge de l’affaire Yahoo !. " Il est vain d’espérer une autorégulation du réseau. Internet est un vaste espace de liberté mais il donne une liberté sans limites. Or la vie en société a ses exigences et il faut admettre que l’Internet est un espace territorial". À ce stade de la réflexion, la forme que prendraient ces nécessaires " accords internationaux " n’a évidemment pas été décidée. Mais le terme " harmonisation " s’est imposé. Et Ana Palacio de rappeler : " Nous devons d’abord élaborer des codes de conduites généraux en conformité avec le droit communautaire avant d’ouvrir le champ à des accords internationaux ".
L’exécution des décisions de justice
Une proposition a cependant été évoquée sur la question de l’exécution d’une décision de justice prononcée dans un pays et applicable à un autre Etat, concernant un contenu illicite sur Internet. Christiane Féral-Schuhl, avocate au barreau de Paris, constate que " l’Internet vient heurter les règles traditionnelles du droit international privé. Car un contenu en ligne peut s’avérer contraire à l’ordre public dans un ou plusieurs Etats. Or il n’y a pas une mais plusieurs définitions de la liberté d’expression ". Dans ce contexte, comment un pays peut-il faire sanctionner un contenu contraire à sa définition de la liberté d’expression, quand ce même contenu n’est pas contraire aux principes du pays sur le réseau duquel il est visible ? Il y a bien l’ "exaequatur" qui permet de faire exécuter des décisions de justice à l’étranger mais la procédure est longue et pas toujours suivie d’ effets. Voilà pourquoi, Christiane Féral-Schuhl propose de la simplifier. Pour être accordée par un juge étranger, l’exaequatur devrait répondre à trois conditions. 1/l’infraction doit être commise via un site Internet, 2/ cette infraction devra violer l’ordre public de l’Etat dans lequel elle est constatée, 3/ elle devra être sanctionné par une décision de justice. " Pour être appliquée, cette proposition devra faire l’objet d’une convention internationale. On pourrait par exemple prévoir de l’intégrer au traité sur la cybercriminalité (comme une dérogation) qui ne dispose pas d’accords sur le racisme " explique l’avocate bien consciente que sa proposition peut constituer, aux yeux de certains, une mesure " liberticide " remettant en cause l’essence même d’Internet.
*Participants au débat
Présidente : Ana Palacio Vallelersundi, présidente de la Commission juridique et du marché intérieur du Parlement européen
Intervenants :
Kasunori Ishiguro, professeur de l’Université de Tokyo
Jean-Sylvestre Berger, professeur à l’université Paris X, Nanterre
Christiane Féral-Schuhl, avocate au barreau de Paris
Jean-Jacques Gomez, premier vice-président du tribunal de grande instance de Paris
Larry Smukler, premier vice président de la cour supérieure du new Hampshire, USA