Au nom du 11 septembre..
Internet est en danger : à la recherche des auteurs de l’attentat du 11 septembre, les autorités sont prêtes à s’asseoir sur des libertés fondamentales. Une victoire pour les terroristes.
Le 11 septembre dernier, pour beaucoup de New-yorkais, le Réseau a été essentiel : c’est par lui, alors que les lignes téléphoniques étaient coupées, qu’ils ont pu s’informer et rassurer leurs proches. Des millions d’e-mails ont été échangés. Les sites web des grands médias ont été pris d’assaut, faisant presque exploser les serveurs. Comme les internautes se ruaient sur les vidéos du drame, les serveurs Akamai, qui permettent aux grands sites de mieux répartir la charge, ont subi une défaillance, pour la première fois de leur histoire. Ironie tragique : Daniel Lewin, le fondateur d’Akamai, était dans l’un des avions qui a frappé le World Trade Center.
La plupart des spécialistes du terrorisme affirment que les auteurs de ces attentats ont, eux aussi, utilisé Internet. Ils n’ont pas de preuve pour l’instant, juste leur conviction. Mais le FBI a commencé à explorer les logs et les data conservées chez tous les fournisseurs d’accès américains. Déjà, de nombreuses violations des droits jusqu’ici reconnus des citoyens ont été constatées, au nom de l’enquête, au nom de l’intérêt supérieur, au nom d’un droit à la justice rapide ; voire, pour certains, d’un droit non-dit à la vengeance. Seulement 48 heures après les attentats du 11 septembre, le Sénat américain a voté le " Combating Terrorism Act of 2001 ", qui permet l’écoute du trafic Internet, en activant notamment le système Carnivore, dans le cadre d’enquêtes mais sans décision de justice. Le FBI le réclamait depuis des années.
Le danger est là : baisser la garde démocratique à la première attaque. Les démocraties sont, par nature, faibles et fortes à la fois. Faibles, car elles sont tolérantes, ouvertes, et s’exposent de ce fait à des actes terroristes. À l’opposé, les ...tats policiers n’ont que peu de problèmes avec les terroristes (peu de bombes explosent à Pyong Yang). Mais les démocraties sont fortes aussi car elles se relèvent toujours des épreuves, et ce régime politique est le seul qui survit au temps : c’est aussi le seul qui a le soutien du peuple.
Les prochains mois seront critiques. Le drame américain va être l’occasion pour tous les adeptes de "l’ordre moral" d’exiger plus de contrôle sur le Réseau. L’Internet s’est construit dans une extrême liberté, et c’est ce qui a fait sa force. Comme tout système ouvert, il connaît des dérives et des utilisations pernicieuses, mafieuses, dangereuses. Comme toute technologie, il est utilisé à la marge par des pervers ou des assassins. Ce n’est pas une raison pour vouloir le contrôler à tout prix, et remettre en cause les libertés individuelles et collectives de l’écrasante majorité des usagers paisibles. Tout le monde peut acheter une voiture, qui est l’un des outils essentiels d’un bon braquage. Pourquoi l’Internet serait-il plus régulé que l’automobile ? Ou que la vente d’armes (quasi libre aux Etats-Unis) ?
Bien sûr, il faut une régulation pour le Réseau. Mais le législateur ne peut se laisser influencer par ce qui s’est passé le 11 septembre. L’accepter, ce serait dire aux terroristes qu’ils ont réussi leur coup. Que nos pays libres vont le devenir un peu moins, à cause d’eux. Qu’en quelques heures, ils ont ébranlé des certitudes issues de plusieurs centaines d’années démocratiques. Malheureusement, nous connaîtrons sans doute d’autres attentats. Il y aura d’autres terroristes. Et la vie continuera. Plus forte que ceux qui veulent justement nous faire changer d’existence.
Si nous ne sommes pas convaincus de cela, si nous croyons que des lois d’exception sont désormais acceptables, il faudra juste se poser une question : préférons-nous une injustice à un "désordre" (même tragique) ? Et se souvenir de cela : les dictatures se fondent sur l’ordre, seule la démocratie s’est forgée sur la justice.