À Interpol, une élégante jeune femme de 35 ans dirige la chasse aux pervers et aux négriers sur le Net. Cette acharnée fait coopérer 178 polices nationales entre elles.
La fonction qui figure sur sa carte de visite fait frémir : « Chef de service. Traite des êtres humains. » L’ignoble constitue en effet le quotidien d’Agnès Fournier de Saint Maur : à Interpol, cette capitaine de police combat la traite des femmes, l’immigration clandestine et la criminalité contre les mineurs. En franchissant les multiples sas de sécurité de l’énorme bâtiment lyonnais qui abrite cette organisation de coopération entre 178 polices nationales, on s’attendait à trouver une flic à l’air un peu raide. Dans un bureau fonctionnel, on découvre une élégante jeune femme de 35 ans, maquillage soigné et bague à l’index. Quinze ans de service derrière elle, dont plusieurs années à la Brigade de protection des mineurs de Paris. Elle avoue : « La confrontation sur le terrain avec les pervers est très dure à gérer. J’ai eu envie de me mettre en retrait tout en poursuivant cette action de lutte de manière différente. »
En 1993, elle rejoint Interpol pour son aspect international. « Nous n’effectuons aucune enquête. Seules les forces de police des pays sont opérationnelles pour la recherche et la traque des criminels. Nous relayons l’information auprès des pays membres pour permettre l’identification de ces personnes de la façon la plus efficace et la plus rapide possible. » Pour elle, cette démarche prend tout son sens dans la lutte contre les crimes liés à Internet, territoire mouvant et sans frontières. Dans son équipe, qui compte quatre membres, deux officiers se consacrent à la lutte contre la pédophilie sur le Web. « Avec l’apparition d’Internet, nous avons été confrontés à de nouveaux obstacles. D’une part, la difficulté d’identifier les criminels alors que nous ne disposons souvent que d’adresses e-mails et de pseudos. De l’autre, la facilité avec laquelle ils peuvent faire disparaître les preuves... » Il faut s’y faire, Agnès Fournier de Saint Maur parle rarement à la première personne, préférant mettre en avant le travail d’équipe. Mais la voix trahit une énergie parfois brimée par certaines lenteurs. « C’est vrai, l’administration n’est pas réputée pour sa rapidité. Mais nous sommes aussi confrontés à des blocages extérieurs. » Et de citer l’exemple d’un fournisseur d’accès qui traîne à transmettre les infos demandées. « J’avoue que cela me met véritablement en colère. » Elle se reprend, plus constructive : « Il y a bien sûr des hébergeurs et fournisseurs qui coopèrent avec la police. D’une façon générale, je comprends les arguments qu’ils mettent en avant pour, par exemple, refuser les surveillances... Mais il s’agit de vies d’enfants et j’essaie de le leur faire comprendre. »
Photos amateurs
Pour mener à bien ses missions, son équipe peut s’appuyer sur les outils développés par Interpol. Notamment une base de données spécifiques au Web. « Les photos amateurs qui s’échangent sur les sites sont notre préoccupation essentielle. Le logiciel est capable de comparer et d’analyser des photos pour en identifier la provenance et l’ancienneté. » Pas de morphing au programme, mais la possibilité de recouper les auteurs des photos, donc de remonter les réseaux. Illustration avec l’Opération Cathédrale. En juillet 1998, Agnès Fournier de Saint Maur est contactée par un policier anglais du National Crime Squad au sujet d’un site pédophile, qui compte une centaine d’utilisateurs, répartis dans une douzaine de pays. Mise en commun et coordination des informations, analyse des photos, identification des criminels : en deux mois, le travail d’Interpol permet aux forces de police concernées d’arrêter les membres du réseau. « Il était assez difficile de trouver un jour et une date commune d’intervention car chaque pays a sa propre législation et son propre fuseau horaire... Mais l’Opération Cathédrale est une vraie réussite en termes d’arrestations et de saisies de matériel. » Bilan : un million d’images, 67 giga de stockage pornographique, 624 cédéroms, 38 ordinateurs, 3 227 disquettes. Un tel succès n’est pas monnaie courante. Mais inutile d’insister : Agnès Fournier de Saint Maur ne donnera de chiffres ni sur le nombre de réseaux démantelés, ni sur le taux de réussite des opérations. « Bien sûr, si vous regardez le nombre de sites pédophiles, vous baissez les bras. Mais chaque cas réussi est une pierre à l’édifice. »
C’est une acharnée. « Plus on me met des bâtons dans les roues, plus j’ai envie de persévérer. » Après son Deug de droit, lorsqu’elle a annoncé à sa famille qu’elle voulait entrer dans la police, tout le monde a essayé de l’en dissuader. Elle a néanmoins intégré l’...cole de police, puis suivi les cours de l’Institut de criminologie de Paris. En continuant de travailler. Cette fonceuse n’est pourtant pas rebelle. « Je n’aime pas travailler avec les gens qui veulent tout casser... On n’arrive à rien comme ça. »