Guillaume Joire s’est taillé un petit succès dans le Web graphique avec Bechamel.com, un site de copains qui présentent leurs œuvres animées îet musicales pour le Net.
Les J’mebouffe sont « salopards, mauvais, puants ». Avec leur gueule de traviole, tout en dents, leur béret et leur sac Bernadette, les deux médiocres personnages n’inspirent aucune pitié. Pourtant, lorsqu’ils se retrouvent seuls dans une maison jonchée de débris humains, à la merci d’un King-Kong sanguinaire, la dérision et l’humour du scénario désamorcent à peine l’angoisse de la situation. Happé par le suspense ? Pour regarder les épisodes suivants, il faudra attendre un investisseur. La série internet des J’mebouffe est à vendre à tout éditeur qui en ferait la demande...
Le web-réalisateur Guillaume Joire, directeur artistique et graphiste, heureux papa des J’mebouffe, est un maître de l’ambiance. Sa technique pour donner de la chaleur et de la profondeu
écran consiste à coll
qu’il accomplit directement sur ordinateur, à l’aide de Photoshop -, puis à leur insuffler une vie avec des logiciels du type Flash. L’un des premiers films de Guillaume Joire, L’Ascenseur, a été développé à l’époque héroïque de la webfiction, sur le logiciel professionnel AfterEffects. L’image est de la taille d’un timbre poste ! Pourtant, l’histoire absurde de ces appareils électroménagers, en goguette dans un ascenseur qui finit par tous les dévorer, est captivante. Tant pis si quelques pixels passent à la trappe, et si les borborygmes inarticulés des personnages se perdent dans la mémoire-tampon : quelque chose de neuf se passe.
Bruits intestinaux
C’est autour de ce style, de cette façon de raconter les histoires sans mots - avec des sons, quasiment des bruits d’intestins -, que s’est bâti Bechamel.com. Créé en 1999 par Guillaume Joire et sa graphiste de compagne Sophie Estival, le site est devenu le repaire d’une bande d’illustrateurs talentueux. « J’avais commencé par me faire un CV en ligne, explique Guillaume, un garçon de 35 ans à la carrure de paysan et à la voix tranquille. Mais j’étais mécontent de faire de la pub à la boîte dans laquelle je travaillais - justement une boîte de pub. Alors j’ai sorti des fonds de tiroir les dessins de mes amis, Phong, Rocco, etc., et j’ai monté un site vraiment perso. Depuis, on se débrouille, je demande quelque chose à un ami, un autre m’offre d’un seul coup 1 700 sons, j’apporte mes propres dessins... Qu’il s’agisse de l’image ou de la musique, c’est du collage ! »
Bechamel.com n’échappe pas à l’humour potache de la cyberculture. Le site doit son nom à un délire de Guillaume et Sophie, un soir où ils poussaient la chansonnette en plaquant trois accords sur une guitare. Les séries, fictions, jeux proposés en ligne font dans le cliché violence gratuite et rire gore. On peut se glisser dans la peau de quelques-uns des illustrateurs fétiches de Bechamel, pour affronter en duel un concurrent : tous les coups sont permis, l’essentiel étant de savoir manier les touches du clavier avec suffisamment d’agilité pour dégommer le rival. Guillaume Joire envisage de lancer bientôt des tournois en chair et en os, sur le modèle des tournois de jeux vidéo en réseau LAN Arenas... Ailleurs, vous êtes le Père Noël et votre job consiste à fragger des rennes pour vous faire un bon p’tit rôti.
« Je travaille dans le kitsch trash, reconnaît le graphiste. OK, dans notre appart, la vie est rose [un petit trois pièces bariolé dans le XXe arrondissement]. Mais j’ai aussi une culture BD, punk, c’est-à-dire des gens qui boivent des bières jusqu’à tomber dedans, la débauche, la défonce... Quand j’avais 15 ans, il y avait des clans qui se battaient. Mais il y avait aussi une grande diversité, qui s’exprimait sur les radios libres. Rien à voir avec les mecs d’aujourd’hui dans les banlieues, qui sont tous habillés pareil et qui n’ont rien à dire. » Le crado et le désopilant, seule arme pour s’émanciper du cadre rigide d’une société débuggée et reformatée ?
Pour gagner leur vie autour de ce site gratuit, les compères font aussi de l’édition papier, ou bien décrochent des contrats auprès de télés. Dans ce cas, ils rémunèrent les illustrateurs qui leur prêtent des images : « Nous avons un contrat moral : on fait 50-50. Je ne suis jamais propriétaire de l’œuvre, contrairement aux pratiques du milieu télé... Mes efforts visent plutôt à protéger mes amis, à négocier du temps pour leur boulot, à lire dans le détail les contrats... » Visiblement, il est plus reposant de travailler pour le musée de La Villette, qui leur a commandé des documentaires animés sur le thème de l’automobile. Guillaume Joire peut ainsi consacrer ses heures tardives à monter sa Bechamel, sans pub, sans fonds, mais avec la ténacité et l’intransigeance d’un cuisinier sûr de sa sauce.