Une expérience, menée par IBM, montre que les robots sont de bien meilleurs spéculateurs que les humains. La communauté scientifique est partagée sur la portée de l’affaire.
Depuis Deep Blue, on savait déjà que les robots jouent mieux aux échecs que les humains. Le même IBM vient de montrer que les machines sont aussi de meilleurs spéculateurs. Et selon Jeffrey Kephart, du centre de recherches de la compagnie américaine, cette découverte est encore plus significative que les défaites de Gary Kasparov. Rapportée par le New Scientist, l’expérience inédite réalisée par IBM consistait à faire s’affronter six personnes lambda et six robots dans un jeu de spéculation. À tour de rôle, les uns représentaient les acheteurs, limités en termes de pouvoir d’achat, et les autres jouaient le rôle des vendeurs, à partir de prix plancher. Le but de l’opération était, en suivant un principe économique de base, de maximiser son profit en spéculant sur le cours de produits aussi divers que l’or ou la poitrine de porc. Et les résultats sont intéressants : à partir de stratégies simples, les robots ont ramené 7 % d’argent de plus que nos malheureux congénères. Dave Cliff, de Hewlett-Packard, un des concepteurs de ces traders métalliques pour IBM, déclare même "être heureusement surpris que ses algorithmes aient permis de battre des humains".
Fini les krachs boursiers
Bien évidemment, pour les chercheurs d’IBM, les résultats sont à la mesure des espoirs (et de l’argent) investis dans ce projet. Jeffrey Kephart affirme que cette réussite pourrait se chiffrer "en milliards de dollars chaque année". Bientôt, dit-il, "des millions de robots remplaceront les spéculateurs traditionnels pour prendre les décisions de spéculation". Alors, fini les krachs boursiers ? Pour Jean Arcady-Meyer, directeur de recherches au CNRS, cette expérience n’apporte aucun élément réellement nouveau : "Six humains testés contre six robots, ça ne fait pas des statistiques bien convaincantes", affirme-t-il. D’autant plus que les humains n’étaient pas des professionnels. "Depuis les travaux d’Axelrod, qui avait mis en compétition des programmes informatiques et des humains dans le jeu du dilemme du prisonnier itéré (1), on sait bien qu’un ordinateur peut faire mieux que les humains", ajoute-t-il. En fait, cette expérience ne représente qu’une des applications des "nouveaux systèmes modulaires d’anticipation des comportements spéculatifs "(2). En clair, le robot s’adapte automatiquement à ses adversaires en anticipant leurs réactions (une seule stratégie ne suffit pas, car elle peut fonctionner contre une personne et échouer contre une autre). Cependant, si Jean Arcady Meyer restreint la portée de l’expérience, il ne remet pas fondamentalement en cause l’idée qu’à terme des robots puissent effectuer des opérations de spéculation pour des organismes financiers.
(1) Dilemme du prisonnier d’Axelrod :
RAPPEL : "Dans le dilemme du prisonnier, deux joueurs sont en présence. Chacun a deux options : soit coopérer, soit faire cavalier seul. Chacun doit choisir sans connaître la décision de l’autre. Quoi que fasse l’autre, il est plus payant de faire cavalier seul que de coopérer. Le dilemme consiste en ceci que, si les joueurs font cavalier seul, ils s’en tirent moins bien que s’ils avaient coopéré." On peut répéter de multiples fois ce dilemme, ce qui permet la mise en place de stratégies. On parle alors de dilemme du prisonnier itéré.
(2)
Résumé de la thèse de doctorat de Christophe Meyer (un exemple de systèmes modulaires d’adaptation).