Visite dans les laboratoires où l’on a mis en lumière les propriétés insoupçonnées d’un vulgaire bout de plastique.
Qui a dit que l’image était omniprésente ? Que les écrans étaient partout ? Contrairement à ce que nous avaient annoncé bon nombre d’auteurs de science-fiction (pas si visionnaires que ça) et quelques fabricants un peu trop optimistes, l’écran n’a pas encore envahi notre univers quotidien. Avez-vous déjà vu des murs tapissés (littéralement) d’images ? Des écrans transparents incrustés dans des verres de lunettes ou des pare-brise ? Des machines qu’on roule dans la poche ou qu’on peut coudre sur ses vêtements ? Non, bien sûr. Car il manque aux écrans d’aujourd’hui une qualité essentielle pour leur ouvrir de nouveaux marchés : la souplesse.
Nous sommes pourtant à l’époque de la flexibilité, avec l’avènement de l’écran organique. Le terme est trompeur : il ne s’agit pas d’une technologie dérivée d’une quelconque propriété des organismes vivants, mais de nouveaux matériaux composés de molécules organiques de synthèse, avec des atomes de carbone, d’hydrogène et, éventuellement, d’oxygène et d’azote. Les premiers écrans organiques sont déjà sur le marché. Ils ne sont pas encore souples, mais possèdent d’autres qualités : la légèreté, l’économie d’énergie, un contraste élevé, un angle de vision élargi et un taux de rafraîchissement (le nombre d’images par seconde) élevé. Et la flexibilité n’est plus très loin. À l’horizon 2005-2010 devraient naître les premiers modèles de télé qu’on accroche au mur, comme un poster.
À quelques millièmes de cheveu près
Deux écoles se disputent la fabrication d’écrans organiques. La première découle des découvertes de Ching W. Tang, en 1980. Ce chercheur employé par Eastman Kodak fabrique alors les premières diodes électroluminescentes à partir de micromolécules organiques. L’autre école se base sur les travaux du professeur de physique Richard Friend et de son étudiant Jeremy Burroughes. En 1988, les deux scientifiques découvrent, par hasard, à l’université de Cambridge, que des macromolécules organiques - appelées polymères, ou plus communément plastiques - peuvent émettre de la lumière. Appliquées à la conception des écrans, les deux technologies se révèlent globalement comparables : une couche de matériau actif (dans laquelle on retrouve soit les polymères, soit les micromolécules, et qui est mille fois plus mince qu’un cheveu), est prise en sandwich entre deux électrodes, auxquelles on applique une tension électrique. L’énergie est alors convertie par le matériau en lumière.
Fondée en 1992, Cambridge Display Technology (CDT), dont font désormais partie Richard Friend et Jeremy Burroughes, est leader dans le domaine des écrans plastiques. La société britannique vend une partie de sa production de polymères, mais aussi son savoir-faire à travers les brevets qu’elle a déposés. Aujourd’hui, six spécialistes de la fabrication d’écrans ou de la chimie utilisent les connaissances de CDT : Philips, Uniax, DuPont, Seiko-Epson, Hoechst et Delta Optoelectronics.
Wallace et Gromit apportent des preuves
David Fyfe, PDG de CDT, est convaincu de la supériorité de sa technologie sur celle de Kodak (retenue par un autre acteur indépendant majeur, l’américain Universal Display). D’après lui, la technologie basée sur les micromolécules se montre trop sensible aux températures élevées (au-delà de 60° C), moins robuste, plus gourmande en énergie (15 volts, contre 4 pour les polymères) et plus difficile à fabriquer. En effet, les polymères présentent l’avantage de pouvoir être mélangés à des solvants sous forme liquide. Lors de la fabrication des écrans, cette étape permet de les déposer de manière très précise, en gouttes très fines, à l’aide d’une tête d’impression semblable à celle des imprimantes à jet d’encre. « La technologie issue des laboratoires de Kodak a été découverte 10 ans avant la nôtre, rappelle David Fyfe, mais les chercheurs qui s’en inspirent n’ont plus que 6 à 9 mois d’avance. » Pour appuyer ses propos, il fait défiler une vidéo de Wallace et Gromit sur un petit écran à dominante verte, prototype de Seiko-Epson. La définition est très bonne et le défilement des images très rapide. Dans les prochaines années, CDT compte aussi se lancer dans la fabrication d’écrans plastiques pour son propre compte. La société vient en effet d’annoncer la mise en route d’une petite usine de production, située à une vingtaine de kilomètres de la société mère. Opérationnelle en 2003, l’usine produira, dans un premier temps, des écrans plastiques destinés à des marchés spécifiques, militaires ou médicaux par exemple. Dans un deuxième temps, CDT concevra des écrans pour les téléphones portables, avant de passer aux écrans de plus grande taille.
Mais l’écran flexible sera pour plus tard : « La durée de vie des écrans plastiques est encore mal connue. Et les matériaux utilisés aujourd’hui ont tendance à craquer si on les plie trop fort ou si on les tord », explique David Fyfe. Un point de vue partagé par Coen Lidenbaum, chercheur chez Philips. Spécialisé dans la technique « d’impression » des polymères et dans l’amélioration des couleurs sur ces types d’écrans, il suit avec attention toutes les avancées de ses concurrents. Et s’il pense que les premiers écrans plastiques en couleur feront leur apparition sur les téléphones mobiles et les PDA en 2002-2003, il se montre moins optimiste sur l’avenir des écrans flexibles. Pour obtenir des écrans souples, il faudrait en effet remplacer les plaques de verre qui recouvrent les matériaux organiques par du plastique. Une opération difficile : « Le plastique est perméable à l’air et à l’eau, explique-t-il, et l’oxygène abîmerait les polymères. Il y a dix ans que des entreprises telles que Universal Display nous annoncent l’arrivée des écrans souples. Mais la durée de vie des prototypes qui ont été montrés jusqu’à présent ne dépasse pas quelques jours. » Une constatation que ne dément pas Janice K. Mahon, chargée de la commercialisation de la technologie chez Universal Display. « Il nous faut encore 2 à 3 ans pour concevoir des écrans souples avec deux ou trois couleurs qui ne se superposeront pas, explique-t-elle. Et 3 à 5 ans pour sortir les premiers vrais écrans flexibles en couleur. »
Plastique manne
Pour fabriquer des écrans flexibles, les chercheurs devront résoudre d’autres problèmes. À l’heure actuelle, la lumière émane d’un matériau commandé par un système électronique classique via des fils conducteurs. Pour concevoir des écrans souples, il faudrait passer au tout-plastique : écran plastique, substrat plastique mais aussi... électronique plastique. Or, un appareil de ce type n’est pas encore envisageable aujourd’hui. Pourtant, les recherches avancent. Cette année, le premier écran dont chaque pixel est actionné par un transistor en plastique est sorti des laboratoires du hollandais Philips. Inséré dans un téléphone portable, ses qualités, observées dans le labo de recherches, sont impressionnantes. Même si, à l’heure actuelle, il ne laisse apparaître que deux couleurs (noir et jaune), il permet de regarder des vidéos avec un taux de rafraîchissement rapide et un angle de vision particulièrement large. Et comme le plastique est moins cher que le silicium, plusieurs entreprises se lancent dans cette nouvelle voie. C’est notamment le cas de Plastic Logic, la nouvelle société issue de l’université de Cambridge, qui doit fabriquer des puces en plastique. CDT compte d’ailleurs prendre des participations dans cette société pour, à terme, collaborer avec elle. Mais le jour où les premiers écrans flexibles feront leur apparition sur les rayons, les consommateurs seront-ils au rendez-vous ? « Nous sommes habitués aux écrans carrés et rigides, note Coen Lidenbaum. Avant de lancer des recherches sur les écrans souples, il faut envisager une série d’applications intelligentes et utiles. Mais il faut aussi s’assurer que les consommateurs sont prêts à payer pour
en disposer. »
1977
Découverte des plastiques conducteurs
Les Américains Alan J. Heeger, de l’université de Californie à Santa Barbara, et Alan G. MacDiarmid, de l’université de Pennsylvanie à Philadelphie, mettent au point les premiers plastiques conducteurs. Avec le Japonais Hideki Shirakawa, de l’université de Tsukuba, qui,
3 ans auparavant, synthétisait pour
la première fois un polymère
sous forme de film, ils obtiennent
le prix Nobel de chimie 2000.
1980
Découverte des diodes organiques
Ching W. Tang, chercheur d’Eastman Kodak à Rochester, aux ...tats-Unis, fabrique la première diode organique.
1988
Découverte des
plastiques lumineux
Richard Friend
et Jeremy Burroughes découvrent qu’on peut émettre de la lumière à partir d’un transistor
en plastique.
1998
Prototype d’écran vidéo en plastique
Seiko-Epson présente une vidéo sur un écran en plastique de 800 x 236 pixels
sur 5 cm2.
1999
Commercialisation d’écrans organiques
Sortie des premiers appareils avec écran organique :
un autoradio signé Pioneer au Japon, un téléphone portable Motorola
aux ...tats-Unis.
2000
Prototype de téléphone à écran plastique et transistors plastiques
Philips présente un téléphone mobile doté d’un écran plastique et commandé par des transistors en plastique, capable d’afficher de la vidéo en jaune
et noir.
2002-2003 ?
Première vague
d’écrans plastiques
Les premiers écrans plastiques couleur devraient concurrencer
ceux à cristaux liquides sur
les téléphones et les PDA (assistants personnels). Les premiers écrans souples, avec deux ou trois couleurs qui ne se superposent pas, font leur apparition.
2003-2005 ?
Premiers écrans souples couleurs