Grâce à la récup’, une école primaire de Seine-et-Marne a pu s’équiper d’une soixantaine d’ordinateurs. Mais le système D
a ses limites. Faute de temps et d’argent pour les rép
Nassim, 11 ans, lève le doigt : « Maître ! Je trouve pas de photos de requin ! » Le « maître », Yvan Némo, directeur de l’école Bel-Air de Torcy (Seine-et-Marne), s’approche. Il jette un coup d’œil sur l’écran d’un vieux Mac monochrome. « Tu as cherché dans quoi ? », interroge-t-il. « Ben, je suis allé dans le dossier mammifères, ensuite dans mammifères marins, et y’a rien. Pourtant je sais qu’on en a, des photos de requins ! » « Tu dois pas chercher au bon endroit », glisse le directeur. Nassim réfléchit quelques instants, tout en parcourant à nouveau l’arborescence de la base de données. Un clic, et le dossier « poissons » apparaît. « Ah ben, d’accord ! », s’exclame l’élève de CM2.
Bel-Air n’est pas précisément un établissement pilote. 65 % des enfants sont issus de familles qui vivent avec moins de 3 500 francs par mois, en dessous du seuil de pauvreté. Pourtant, cette école située dans un quartier anonyme proche de Marne-la-Vallée possède plus d’ordinateurs que n’importe quel lycée parisien. Sans un franc de subvention, Bel-Air s’est pourvue d’un réseau d’une soixantaine de Mac pour 160 élèves. Leur truc, c’est la récup’.
Yvan Némo, 39 ans, sociologue de formation (tendance Bourdieu) est un informaticien autodidacte. Il raconte : « Ça fait une dizaine d’années que je suis convaincu que l’informatique, et surtout l’organisation en réseau, permettent un meilleur partage du savoir. » Face à ses élèves, Némo entretient un style distant et sévère : un vrai « hussard noir de la République », la blouse de travail en moins. Une posture qui contraste avec la photo de Gandhi - une pub Apple - scotchée sur la porte de la salle d’informatique. À l’école Bel-Air, les enfants passent environ un tiers de leur temps devant un écran. Ils numérisent des photos ou des dessins dénichés dans la bibliothèque - un dinosaure, le Mont-Blanc, François 1er - puis rédigent de courts articles. Chaque élève contribue à alimenter une base de données accessible à tous.
Pour que la méthode pédagogique d’Yvan Némo fonctionne, il fallait des ordinateurs, beaucoup d’ordinateurs. La mairie de Torcy n’est pas riche : impensable de financer un équipement massif. En 1995, Némo achète les deux premiers Mac destinés à l’école, par le biais d’une association qu’il a créée, baptisée « Arché ». Il se souvient : « C’étaient deux vieux machins qu’on a trouvés chez un broker. Il revendait du matériel obsolète de la RATP en faisant de confortables bénéfices. » Les premières années d’activité d’Arché sont acrobatiques : les courses à travers tout Paris pour récupérer une palette de claviers, les arnaques de revendeurs sans scrupule, les mercredis et les week-ends passés à retaper les machines... Tout en racontant, Némo longe le couloir qui donne dans les salles de classe. Il ouvre les placards : près de 700 ordinateurs sont là, entreposés consciensieusement. Des pièces de musée pour la plupart, qui seraient parties à la décharge si le Bel-Air ne les avait pas récupérées. Souvent, il manque une carte-mère ou une coque, mais surtout le temps pour les installer...
L’école s’est constituée son trésor de guerre petit à petit. « Au début, il n’était pas question de dons. Tous nos ordinateurs, il fallait les payer entre 400 et 3 000 francs pièce. » Mais aujourd’hui, grâce au bouche-à-oreille, on appelle Némo pour qu’il vienne débarrasser plusieurs dizaines de machines venues d’hôpitaux comme celui de Lariboisière, à Paris, ou de grandes sociétés comme Apple France. Désormais, l’école est assez équipée et, une fois retapés, les Mac sont revendus avec un petit bénéfice à d’autres écoles de Seine-et-Marne ou des associations de quartier. Certains sont offerts à des parents d’élèves doués pour l’informatique, mais qui n’ont pas les moyens de débourser 6 000 francs pour acheter un ordinateur. Avec les bénéfices de la revente, Bel-Air peut acquérir du matériel de qualité pour améliorer son réseau interne.
Mais tout ça se fait au compte-gouttes. L’association Arché ne vit qu’avec une poignée de bénévoles. Le système D a ses limites. L’activité a tendance à stagner, faute de moyens pour remettre en état et écouler son stock devenu pléthorique. Aurélien Durand, qui travaille en emploi-jeune pour l’association, souligne : « Nous manquons de périphériques, de souris notamment. Certains claviers qu’on reçoit sont carrément inutilisables. » Pour Némo, le temps est venu de changer d’échelle. « Dans cinq ans, une école primaire avec une trentaine d’ordinateurs, ça n’aura rien d’exceptionnel. Rien que pour Marne-la-Vallée, ça fait un parc de 1 500 machines. Mais quelle municipalité pourra faire face au coût de maintenance d’un tel parc si toutes ces machines sont neuves ? » Némo s’efforce d’inciter la communauté de communes de Marne-la-Vallée à mettre en place une structure chargée de réparer les machines et de leur trouver un acquéreur associatif ou municipal. « Et puis, il faut créer des incitations fiscales pour que les entreprises aient le réflexe de donner leurs vieux PC », ajoute-t-il. Au cabinet du secrétaire d’...tat à l’...conomie solidaire, l’écologiste Guy Hascouët, on ne fait qu’une seule réponse : une telle mesure « n’est pas d’actualité »...
Les initiatives locales
EnvieDem
EnvieDem témoigne d’une démarche originale : l’alliance entre l’associatif et le commercial. Depuis 1998, le réseau associatif Envie, fondé par un ancien d’Emmaüs, collabore avec Demovale, une filiale d’Onyx (du groupe Vivendi) spécialisée dans le recyclage des tubes cathodiques et des plastiques. Résultat : la société EnvieDem, installée à Lyon, propose un service de collecte de proximité et de traitement des DEEE (déchets électriques et électroniques) aux entreprises et collectivités locales installées dans le grand Lyon. Cette année, EnvieDem a collecté 850 tonnes de matériel, dont 80 % de produits informatiques. Des déchets électroniques provenant du Crédit Lyonnais ou de la bureautique obsolète de la mairie de Lyon...
La société EnvieDem :
http://www.envie-dem.com
Actif France
Créée en 1995, par Richard Rogulski, un ancien cadre d’IBM, cette association reprend gratuitement le matériel informatique périmé de grandes sociétés. Objectif : rénover les machines afin de les revendre à prix réduit à des écoles, des associations ou des organisations caritatives. Pour assurer la remise en état des ordinateurs, Actif France a créé des ateliers de réinsertion répartis dans différentes villes de France. Chargés de la rénovation des ordis, ils emploient une trentaine de salariés (des jeunes sans qualification ou des chômeurs de longue durée). 3 000 à 4 000 ordinateurs provenant d’IBM, L’Oréal, la Banque de France ou Vivendi sont ainsi récupérés chaque année. Plus de 80 % sont rénovés et revendus, le reste du matériel est expédié vers des sociétés de recyclage.
L’association Actif France :
http://www.actif-france.asso.fr
Jeunes espoirs 2000
Basée à l’Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne), cette association créée en janvier 2000 organise la récupération d’ordis auprès des particuliers et des entreprises afin d’équiper gratuitement en matériel informatique des associations ou des particuliers (ex-prisonniers, handicapés). Jeunes espoirs 2000 envoie également des ordinateurs en Afrique (Sénégal, Burkina Faso) à destination des ONG locales. L’association compte une centaine de membres et dispose d’un antenne à Cannes.
L’association Jeunes espoirs 2000 :
http://www.je2000.sgdg.org
Espace 19
Dans le XIXe arrondissement de Paris, l’association Espace 19 récupère des ordinateurs pour équiper les centres sociaux du quartier et proposer des cours d’initiation à l’informatique.
Baobab.news
Baobab.news, créée en mai 2000, agit en faveur des nouvelles technologies dans les pays en voie de développement. Elle expédie des ordis à des ONG et des médias indépendants au Burkina Faso. Elle a notamment équipé un centre de presse de journalistes indépendants à Ouagadougou.
L’association Baobab.news :
http://www.baobab-news.com