Depuis avril 1999, le collectif Contagion mêle intelligemment musique classique et rythmes techno. Cette société touche-à-tout, qui crée des sites, produit et manage des artistes, se scinde en deux structures à la fin de l’année. Dernière visite avant travaux.
« Pourquoi on s’appelle Contagion ? C’est à cause de la transmission des idées et des valeurs de la musique, bien sûr. Comme une épidémie sympa... Mais le sens du mot est presque trop riche. » Aussi riche que ce collectif d’artistes est ardu à définir. Une agence de management mêlant musiciens classiques et technos ? Un noyau de création multimédia ? Contagion, pôle d’invention et d’action artistique, est tout ça à la fois. Dans cet immeuble du XXe arrondissement de Paris, truffé d’ateliers de confection, Vincent Nayrolles, l’un des créateurs de l’agence, règne sur un joyeux bordel de machines et d’objets. Sur la cheminée de marbre, un Teppaz gratifié d’un code-barre anachronique sert ainsi de reposoir à une photo de Björk...
Vincent Nayrolles a 27 ans. Bac C, prépa HEC, cet « ancien élève modèle » a toujours été un mélomane passif. S’il mixe, c’est, dit-il en souriant, « à la façon dont d’autres exercent leur passion du tuning ». Après avoir tâté du multimédia côté compta, Vincent décide de financer son DESS de droit et d’administration de communication audiovisuelle. Il entre chez Labels/Virgin puis chez Warner Classic. « En un an et demi, j’ai expérimenté la totalité des métiers de la musique. » World, classique, jazz : il touche à tout et ne se refuse aucun style. De cette exploration globale et active est née l’idée de Contagion : « En France, dans le domaine musical, les choses sont très fragmentées, très spécialisées. Les genres comme les métiers. Alors, au lieu de traiter une fraction de l’activité d’un grand nombre d’artistes, nous avons décidé de retourner le problème. Et de fournir tous nos soins à un petit nombre de musiciens. » Née en avril 1999, Contagion est donc une agence aux pôles créatifs démultipliés. « Beaucoup s’étonnent que l’un de nos concepts soit de mêler des genres musicaux prétendus opposés, tels le classique et la techno. Dès la création de Contagion, les gens criaient à l’hérésie. Personne ne croyait à la viabilité de l’affaire... Mais ce qui est vraiment surprenant, c’est le mélange de métiers d’ordinaire très isolés, comme le management artistique et la création multimédia. » Le déclic tient à une rencontre. Celle de Vincent Nayrolles et de deux virtuoses du pixel, ...ric Rouvière et Charles Barthélémy, déjà réunis au sein d’une société multimédia. Selon ...ric, « l’association a créé la passion. En développant nos disciplines respectives au service de la musique, nous sommes allés au bout de nos idées. »
À 30 ans, ...ric Rouvière est le designer et le directeur technique de l’affaire. ...tudiant brillant à la fac de médecine de Montpellier, spécialisé en psychiatrie, il a lâché l’internat pour plonger dans le multimedia... Comme cela peut arriver à un fils de médecin ayant fait ses gammes, dès 12 ans, sur un Apple II. Son acolyte, Charles Barthélémy, le benjamin du trio, s’est formé au cinéma d’animation au CFT-Gobelin. N’ayant pas envie de « produire des mickeys à la chaîne », ce fan de BD classique a poursuivi naturellement son cursus à Bruxelles, aux Arts Déco. Les trois mousquetaires insistent pour en citer un quatrième : Benoît Robert, le graphiste responsable d’une bonne part du site, déjà parti tenter de son côté l’aventure artistique.
Visiter contagion.fr est une vraie démarche. La première page ? À gauche, les arpèges échevelés du pianiste Fazil Say. À droite, la nonchalance communicative du groove électronique de Jean-Philippe Verdin, alias Ready-Made - colocataire et interlocuteur des conjurés de Contagion. Les deux musiques se chahutent, se mélangent. Les menus affichent à l’écran une rigueur esthétique jamais froide. Et l’on se prend à promener sa souris tel un concertiste explorant ses gammes...
Sommet d’espièglerie
« Le nombre de visites du site nous laisse bouche bée. Il ne vend rien, n’est pas clinquant, ne déborde pas d’animations et il s’adresse à une clientèle plutôt marginale, s’étonne Charles Barthélémy. Ici, nous expérimentons beaucoup, mais sans excès. Notre pratique minimaliste du Flash est plus proche du design que de l’animation. Certains nous trouvent austères. Ils ne savent pas voir où est l’humour. » Charles sait de quoi il parle. Presque à l’insu de ses partenaires, il a glissé un petit sommet d’espièglerie dans la page de contacts qui ferme la promenade. Au milieu des cases réservées aux e-mails, Charles a ajouté un minuscule bonhomme-pictogramme. Sitôt la case animée par un clic, une barre de chargement écrase contre la paroi le malheureux picto. À chaque case, se déroule un scénario différent et toujours dramatique. Dans la dernière, le héros évite l’obstacle, plonge vers la page suivante et va terminer sa course au fond d’un précipice.
De la même façon, lorsqu’on leur commande un site, les gens de Contagion prennent leur temps. Ils se rendent chez l’artiste. Le débusquent dans son intimité. Ils ont ainsi révélé une image onirique et stylisée du pianiste Jean-François Heissier. Mais c’est avec le producteur-photographe-musicien Jay Alansky qu’ils sont allés le plus loin, c’est-à-dire au plus près du sujet. « Jay avait envie d’un site de fan, très intime. Du coup, nous nous sommes inspirés du style des pages persos. C’est à la fois confus, éclaté et très riche. On navigue de façon sérieuse ou aléatoire. Aujourd’hui encore, c’est un site que l’on découvre. »
En cette fin d’année 2000, le projet Contagion a vécu - sous sa forme actuelle du moins. Si la notoriété du groupe va croissant, la structure est devenue un poids dont les associés souhaitent se dégager pour mener avec plus de liberté leurs projets personnels, édition musicale ou production multimédia. Des cendres de Contagion, mais dans les mêmes locaux sympathiques, naît ainsi un collectif composé de deux structures indépendantes. Charles Barthélémy et ...ric Rouvière réfléchissent aux modes de narration et d’animation qu’offre Internet. Ils concoctent un projet ambitieux d’œuvres interactives en ligne, dont les premiers éléments seront visibles dans quelques mois.
Quant à Vincent Nayrolles, il vient de créer la société Bleep, un nom qui emprunte au jargon techno et au monde de la musique britannique du début des années 90. « Bleep, c’est la musique électronique qui s’assume. Celle qui ne cherche pas à se légitimer en s’adjoignant instrumentistes traditionnels ou chanteurs. Internet, c’est pareil. Il faut cesser d’appliquer des expressions artistiques usées, et développer du vraiment nouveau. » Bleep veut poursuivre les tâches d’édition et de management entreprises par Contagion. Pas question pour Nayrolles, qui veut travailler l’image de ses artistes, de renoncer à la richesse du Net. La nouvelle structure continuera d’utiliser les talents multimédias de Charles et ...ric. Au fond, la disparition annoncée de Contagion est raisonnée et cohérente : « Notre stratégie du multimédia et du management s’appuie sur des structures ultra-légères, indépendantes, réactives. C’est une méthode de guérilla. »