La journaliste Bettina Röhl, fille d’Ulrike Meinhoff, cofondatrice de la "bande à Baader" (RAF), règle ses comptes avec l’extrême-gauche allemande. Sa cible : Joschka Fischer, ministre allemand des Affaires étrangères et ex-agitateur politique dans les années 70.
"M. le Président ... il est ici question de la personne de M. Joseph Martin Fischer et de son passé. Il est aussi question de faits étouffés par le cartel des médias. Il est question d’état d’urgence." C’est sur ce ton alarmiste que Bettina Röhl commence sa lettre ouverte à Johannes Rau, président de la République fédérale d’Allemagne. Sa lettre, publiée sur son site internet, est un long réquisitoire contre Joschka Fischer, le ministre des Affaires étrangères. Elle l’accuse d’être "moralement responsable" de la radicalisation des mouvements d’extrême-gauche allemands dans les années 70. Une radicalisation qui a entraîné certains des membres de ces milieux dans la spirale sanglante du terrorisme. Bettina Röhl tente aussi de mêler Fischer à l’unique accident grave des manifestations de Francfort, en 1976, lorsqu’un officier de police avait été gravement brûlé par un cocktail molotov.
Vengeance personnelle
Bettina Röhl, 38 ans, n’est pas n’importe qui : elle est l’une des filles d’Ulrike Meinhoff, cofondatrice de la Fraction armée rouge et membre de la "bande à Baader". Elle ne cache pas vouloir régler ses comptes personnels avec les soixante-huitards allemands. Celle qui maudit sa mère, morte en prison en 1976, de les avoir abandonnées, sa jumelle Regine et elle, pour son engagement terroriste, voit des gauchistes partout. Et semble bien décidée à avoir la peau de Fischer. Début 2001, elle a ainsi publié sur son site une série de photos où l’on reconnait le ministre casqué en train de frapper un agent de police. En vendant ces photos au magazine Stern, elle a réussi à déclencher une importante polémique sur le passé du ministre.
La date de ces publications n’est pas innocente. En effet, Joschka Fischer est venu témoigner aujourd’hui même au procès de l’ancien terroriste Joachim Klein. Ce dernier, ancien membre du noyau dur du groupe "combat révolutionnaire" où Fischer agissait également, est accusé d’avoir participé au triple meurtre commis lors de la prise d’otages effectuée sous le commandement du terroriste Carlos à la conférence de l’OPEP à Vienne, en 1975. Mais du fait des publications des derniers jours, la polémique s’est déplacée sur le "rôle moral actif" qu’aurait joué à l’époque le ministre dans les milieux de la gauche radicale. Bien que simple témoin, le ministre a été une nouvelle fois obligé de se justifier en reconnaissant son passé militant et en s’excusant une nouvelle fois auprès des policiers qu’il a frappés. L’éventuelle participation du ministre dans l’attaque au cocktail molotov de 1976 reste en suspens. Bien qu’une enquête soit toujours ouverte, le ministre n’est nullement mis en cause. Pourtant, de nouveaux témoignages d’anciens militants ne cessent de ressurgir. Pas forcément accusateurs, ceux-ci alimentent néanmoins une polémique de plus en plus difficile à gérer.
Bettina Röhl ne compte pas en rester là. Elle a d’ailleurs annoncé sur le Réseau qu’elle révélerait bientôt de nouveaux faits accablants pour Fischer. À voir. Les méthodes de la journaliste sont cependant fortement critiquées. En effet, pour obtenir les photos de Fischer, Mme Röhl n’a pas hésité à tromper le photographe Lutz Kleinhans, qui lui a cédé ses droits d’auteur en pensant que la journaliste ne rédigeait qu’un simple livre ouvrage sur les événements de 1970 à Francfort. Au lieu de cela, Bettina Röhl a utilisé les clichés pour orchestrer son attaque sur Internet et les a vendus pour plusieurs dizaines de milliers de marks à Stern. La semaine dernière, un jugement en référé a donc forcé Mme Röhl à retirer les photos de son site, qui a même été fermé pendant deux jours.