Le régulateur américain a béni le mariage des deux géants de la communication, un an après la publication des bans et sans leur imposer trop de contraintes.
Un an plus un jour après le coup de théâtre de Steve Case, annonçant la fusion de son groupe AOL (26 millions d’abonnés) avec Time Warner, la Federal Communications Commission (FCC) a donné son quitus à l’union des géants. Cette décision intervient avec un peu de retard sur l’agenda, qui devait être clos fin 2000 ; mais cela s’explique par des négociations serrées. En ligne de mire : les messageries instantanées d’AOL et la part de marché de Time Warner dans le câble aux ...tats-Unis.
Clémence dans la messagerie instantanée
Avec le logiciel ICQ (87 millions d’utilisateurs), racheté à une start-up israélienne, et AIM (66 millions d’utilisateurs), développé en interne, AOL dispose de la première base mondiale d’utilisateurs de messageries instantanées. Près de 656 millions de messages de ce type sont envoyés chaque jour au sein d’AOL. Le groupe est en discussion depuis plus d’un an avec les instances techniques d’Internet (IETF entre autres), afin de créer un standard universel de messagerie instantanée. Cependant, l’entreprise de Steve Case traîne les pieds, et joue la montre en continuant à récolter des abonnés. C’est pourquoi Microsoft a tenté un coup de force à la fin de l’année 1999, en bricolant une passerelle entre son Instant Messenger et le très célèbre ICQ. Une guéguerre logicielle s’en est suivie.
Il était question d’y mettre un terme à l’occasion de cette fusion, en obligeant AOL à ouvrir sans retenue ses messageries instantanées afin qu’elles puissent communiquer avec celles de la concurrence. La FCC a retenu une solution moins contraignante : AOL n’aura pas besoin d’ouvrir ses messageries tant qu’elle n’y ajoutera pas de nouveaux services multimédia, comme la vidéoconférence. Elle n’est pas contrainte à l’adoption d’une norme universelle, mais peut parfaitement se contenter de signer un accord avec Microsoft. Cet élargissement de la plateforme de communication devrait en fait profiter à ICQ et AIM.
Demi-ouverture du câble
Quant aux réseaux câblés que Time Warner apporte dans sa dot, avec 20 millions de foyers raccordés (la moitié de l’audience connectée à haut débit aux ...tats-Unis), ils vont procurer au nouveau groupe de substantiels avantages sur le marché américain. Comme dans la messagerie instantanée, la question de l’open access a divisé les fournisseurs d’accès et les câblo-opérateurs. Au départ, c’est AT&T qui a été attaquée par AOL et d’autres fournisseurs d’accès à Internet (FAI) qui réclamaient le droit de passage sur ses lignes câblées - concurrence oblige. Des procès ont été intentés dans plusieurs ...tats.
Avec la fusion AOL Time Warner, c’est l’arroseur arrosé : on demande à Time Warner d’ouvrir son câble. Mais le régulateur n’a pas été trop exigeant. Il suffira de laisser entrer trois FAI indépendants pour qu’AOL ait le droit d’emprunter les tuyaux Time Warner. De cette position inexpugnable, le nouveau groupe peut inonder les foyers avec le contenu du catalogue de films et de musique de Time Warner (Warner Studio, Warner Music), comme il le fait déjà avec son bouquet de chaînes câblées, dont CNN. AOL a déjà entrepris de pousser sa clientèle à s’abonner aux magazines de Time Warner (l’hebdomadaire Time, notamment). Pour le coup, une alliance entre AOL et AT&T pour se partager le câble n’est plus à craindre : la FCC a obtenu que les participations d’AOL dans AT&T soient cédées. C’est au moins ça de pris.
Les éternuements du géant
Pour l’heure, si les dimensions du premier groupe mondial de communication impressionnent, ainsi que le montant de la fusion (103,5 milliards de dollars, 735 milliards de francs au cours actuel des actions AOL et Time Warner, contre 165 milliards de dollars, 1 171 milliards de francs en janvier 2000), l’union reste à concrétiser. Choc des cultures, nécessité d’adapter le réseau Time Warner au service haut débit d’AOL, de mettre sur pied les futurs bouquets de distribution numérique multimédia... Or le contexte boursier s’est dégradé, ce qui diminue la marge de manœuvre financière du groupe. Les ressources publicitaires, qui comptent pour 20% des revenus d’AOL Time Warner, pourraient se tarir. La télévision-star CNN perd de l’audience et s’apprête à licencier. Time Warner est en perte de vitesse depuis des années. Enfin, les investisseurs attendent des coupes budgétaires - c’est l’objectif des "synergies" entre les deux groupes. On parle déjà de licenciements qui pourraient toucher plus de 1 000 personnes du groupe de 85 000 salariés - selon le Wall Street Journal. Malgré ces coupes, il faudra que les profits (EBITDA) augmentent de 30% dans le courant de l’année 2001 ! Pendant que Steve Case a le nez dans le guidon, pourvu que le régulateur précipite l’ouverture à la concurrence du reste des réseaux américains.