Fini les caddies. Fini les sacs plastoches. Carrefour commercialise ses produits sur le Web
et les livre à domicile. Pour nombre de femmes et quelques hommes, c’est un cyber-miracle.
Quand on écrira l’histoire d’Internet en France, le mois de mai 2000 méritera un petit chapitre. Au moins une grande photo. Celle de la pub pour www.ooshop.com. Comprenez Carrefour en ligne, la première grande enseigne des hypers à proposer la commande sur le Web de produits alimentaires. Y compris les aliments frais. Y compris aussi les cinq étages sans ascenseur. C’est l’affiche qui importe. Pour une fois, une réclame d’e-commerce ne joue pas simplement sur la modernité pour la modernité de l’outil ordinateur. Carrefour va à l’essentiel. Au cœur de cible. En plein dans le mille du Net utile. On voit une femme relativement jeune, c’est-à-dire suffisamment proche de la quarantaine pour avoir un revenu régulier. D’une main, elle feuillette un catalogue et, de l’autre, elle attrape ses courses (yaourts, canettes de sodas...) en faufilant ses doigts à travers l’écran d’un PC au look de frigidaire. Tout est dit. En regardant la scène, on comprend l’ampleur de la révolution qui ne fait encore que débuter en France. Fini les caddies. Fini les sacs plastoches remplis jusqu’à la gueule de papier hygiénique rose en paquets de neuf, de boîtes de sardines, de surgelés... Bref, fini, à terme, l’humiliation qui transforme en baudet nombre de femmes et quelques hommes chaque semaine.
Pizza compressée avec Stuffit
et mozza en fichier attaché
Parce que la pub de Carrefour n’est pas mensongère. Dans un délai très rapide, il sera banal de se faire livrer à domicile l’essentiel de ses courses enregistrées par voie électronique et le tout sans surcoût exagéré. Ne rêvons pas trop tout de même : j’ai bien écrit “commander” et pas “télécharger” car même en compressant une pizza avec Stuffit, la mozzarella passe toujours mal en fichier attaché. Pour la bonne bouche, c’est-à-dire pas pour le poulet dit fermier qui a vraiment l’air d’avoir la jaunisse en QuickTime ou en Flash, il sera possible de musarder dans les marchés, les vrais, et de sélectionner au toucher et au flair la salade verte - mais pas fluo - et le poisson frais - mais pas raide comme une barre d’acier trempé... Ouf ! Il était temps. C’en sera enfin terminé de cette époque absurde et barbare où, pour boire de l’eau non javellisée, il fallait prendre une voiture, faire dix bornes dans un sens, porter le pack, et recommencer les dix bornes dans l’autre sens, alors que même dans un village de brousse africaine, le puits est à portée de voix. Merci ! Merci la pub d’avoir rendu visible un progrès “sociétal” que les sociologues du féminisme devraient saluer dans vingt ans - ils sont toujours un peu en retard dans les programmes de recherche - comme une conquête majeure. Pas la pilule, mais presque.
Têtes de gondole
en show-room sur Internet
L’autre révolution est subie par les hypers. Eux qui faisaient leurs marges en piégeant le consommateur par quelques promotions et lui fourguaient le reste à prix bonbon parce que le malheureux, vu qu’il était là et qu’il devait faire la queue vingt minutes, n’allait pas chipoter, ont dû finalement intégrer un peu de concurrence dans leur business (1). Bientôt, on pourra choisir, quelle que soit sa position géographique, entre les prix d’Auchan, de Carrefour ou d’un autre Mammouth. Cyber-miracle ? Un peu. Si les grandes surfaces viennent à la commande en ligne - qu’elles auraient pu lancer par le téléphone, le fax ou le minitel depuis vingt ans -, c’est qu’elles savent que des concurrents américains menacent de débarquer sous peu en France. Ces derniers rêvent d’y installer leurs entrepôts sans magasins. Juste avec des têtes de gondole en show-room sur Internet et un bouquet de services comme le repassage ou le ménage par exemple, en plus des courses... Virus ou pas, le mulot est parfois un animal progressiste.