TRANSFERT S'ARRETE
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Les festivaliers d’Ars Electronica, artistes et savants, ont investi la ville autrichienne de Linz sans faire trop de vagues. Le thème a pourtant de quoi secouer le bourgeois : la sexualité, demain.
Linz, sa tarte à croisillons, son clocher gothique, sa vallée verdoyante, épousant le cours du Danube... Et bien sûr, depuis 1979, Ars Electronica. Ce festival avant-gardiste fait converger chaque année vers la ville autrichienne les artistes et les scientifiques autour d’un thème intéressant la technologie, la création et la transformation de la société. Sous l’intitulé "Next Sex", l’édition 2000 s’attaque au thème brûlant de la sexualité du futur. Les nouvelles technologies - procréation médicalement assistée et clonage - dissocient de manière plus évidente que jamais le plaisir sexuel des fonctions reproductives. On en a parlé en long en large et en travers lors du symposium d’ouverture du festival, samedi 2 septembre, rassemblant des personnalités aussi diverses que l’inventeur de la pilule Carl Djerassi, ou bien Natacha Merritt, auteur impudique d’un journal intime en images sur le Web.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Next Sex n’a pas mis le feu à l’Autriche. Malgré les posters de cul géants (fellation, bouquets de lèvres d’un sexe rasé), les provocateurs professionnels (un darwiniste maladroit et mal aimé, démontrant que le viol est naturel ; un artiste italien louant la coprophagie), et surtout la course de sperme organisée en plein centre-ville par une équipe de biologistes excentriques, la petite bourgade reste profondément endormie. Les dépliants Ars Electronica sont aussi proprets qu’un prospectus pour Disneyland. À l’entrée du bâtiment principal de l’exposition, une mamie lâche son tricot cinq minutes pour prendre le manteau qu’un jeune artiste au crâne rasé vient poliment déposer au vestiaire. Enfin, à la nuit tombée, les participants émoustillés se dirigent vers le "latin social club and peep-show". Quelle déception quand ils s’apercoivent que ce peep-show ressemble à tous les autres. Pas très arty. Quant au train techno qui promène les invités au beau milieu des aciéries de Linz, avec DJ à bord, il s’avère soporifique après dix minutes. Les clubbers, un à un, s’endorment avec des mines d’enfants réjouis et une couverture en laine sur les genoux.
Et pourtant, ils sont tous là, les jeunes turcs du Web créatif. Ils se concentrent au rez-de-chaussée, dans un hall obscur où les net-jockeys de Boombox, une start-up suisse, mixent des musiques électroniques en projetant des vidéos expérimentales. Pas un seul stand style foire commerciale : seulement une enfilade de postes Internet, et des gens assis sur des sièges en forme d’ampoules électriques. Il faut s’approcher et parler fort dans l’oreille de son interlocuteur pour s’enquérir si l’homme au gilet pare-balle orange est bien Zai, PDG d’eToy. Ce collectif d’artistes a remporté une guerre médiatique contre le géant du jouet eToys qui voulait l’empêcher d’utiliser son nom. Au hasard, on tombe sur le broker de Wall Street qui a créé le site Memepool cher à pas mal de libertaires. Au gré des déambulations, on rencontre cHmAn, nos graphistes nationaux venus à Linz pour développer le "portail ultime du sexe" en 36 heures, un biologiste américain qui développe le Napster du génome humain, ou encore un journaliste de Salon qui se fait l’apôtre du logiciel libre...
La plupart d’entre eux ne sont pas des artistes au sens traditionnel du terme, remarque Bruno Beusch. Ce Français, créateur avec Tina Cassani du réseau d’organisation d’événements TNC, a été recruté par le festival pour organiser l’espace de la net-génération. Créé cette année, l’"Electrolobby" est un prolongement du festival, possédant sa web-TV et sa programmation spécifique. Les artistes classiques, donc, sont en représentation au musée Ars Electronica, ou au studio télé d’ORF, la chaîne qui sponsorise le festival et orchestre la remise des prix. Dans l’Electrolobby, on croise plutôt des designers, des gamers, des journalistes, des chercheurs... Et on parle finalement assez peu de sexualité. L’avenir du sexe consisterait-il à mettre le nez dans l’écran ?