L’air de rien, Nora Barry est devenue une personnalité du cinéma sur Internet : c’est elle qui annonce les nouveautés de la webfiction, grâce à sa lettre d’information, The Bit Screen.
Richard Ignazi |
Ongles écarlates, châle et nuage blanc dans une longue chevelure teintée châtain : Nora Barry n’a ni le look "alternatif", ni la pose parfaite de la
careerwoman. Ce qu’elle aime, c’est raconter des histoires. Il y a maintenant presque quatre ans, elle a monté
The Bit Screen pour l’assouvir. Sur ce site, elle expose toutes les semaines une nouvelle webfiction, c’est-à-dire une œuvre animée (vidéo, animation, technologie Flash) créée pour le Web. Chaque mois, l’Américaine poste à ses abonnés du monde entier un mail avec des liens vers les réalisations les plus intéressantes qu’elle a repérées.
L’entrepreneuse n’écrit plus elle-même de webfictions comme au lancement de
The Bit Screen. Elle n’en a plus le temps, depuis qu’en 1998 elle a lâché la communication de grandes entreprises pour créer Druid Media. Sa petite société ne fait pas qu’exploiter le site internet. Elle organise aussi un festival itinérant, Streaming Cinema, qui aura lieu cette année en juin à Philadelphie et dans une ville d’Europe encore indéterminée. De plus, Druid Media met sur pied des chaînes de webtélé spécialisées dans la webfiction pour des réseaux à haut débit comme MediaOne et Europe Online.
Réseaux poussifs
"Quand on travaille pour Internet, l’esthétique change, explique, en français, l’ancienne étudiante de l’Université catholique de l’Ouest. Le nez penché vers son ordinateur, le spectateur a du mal à se concentrer longtemps. Il faut que les pièces soient plus brèves. De même, on ne regarde pas Lawrence d’Arabie sur le petit écran : mieux vaut faire des films plus intimistes." Selon la quadragénaire, fana de Harry Potter et collectionneuse de contes de fée du monde entier, l’art du récit se réinvente avec chaque nouveau moyen de communication. Nous assistons avec Internet à l’éclosion d’une forme d’expression totalement neuve, pas encore codifiée et stratifiée. Elle est conditionnée par le petit écran, les réseaux poussifs, la compression vidéo. Mais elle profite aussi de la technologie bon marché (caméras DivX, Flash). Il devient possible de travailler en solo, sans producteur, éclairagiste, script, preneur de son, maquilleur.
Nouvelle esthétique
D’après l’Américaine, les pros du cinéma traditionnel sont maladroits sur Internet - hormis quelques génies comme Tim Burton. Les nouveaux réalisateurs se nomment Dave Jones (Teetering), George Aguirre (Agitated Beauty), Michael O’Reilly, ou, en France, Guillaume Joire et Jérôme Mouscadet. Toutefois, l’influence de l’interactivité et du temps réel commence à se faire sentir sur le grand écran. Dans The Pillow Book, Peter Greenaway insérait des fenêtres multimédias dans l’image filmée. Plus récemment, Time Code de Mike Feggis présentait quatre écrans en un, avec différents points de vue exposés simultanément pour la même histoire. Le film allemand Cours, Lola, cours, raconte, lui aussi, différentes versions d’un récit, mais dans une succession chronologique. Cette façon de faire s’inspire d’Internet, où les voix se répondent, et les narrations s’enrichissent d’interactivité.
Pour Nora Barry, c’est clair : tout le cinéma va progressivement basculer vers la nouvelle esthétique. D’ailleurs, son ambition est de transformer Druid Media en un studio de production de webfiction...