Contre la fraude à l’aide humanitaire, la biométrie imposée aux enfants de six ans
Depuis la mi-juillet, le Haut-commissariat des Nations-unies pour les réfugiés (HCR) impose aux Afghans âgés de six ans et plus souhaitant rentrer du Pakistan de se soumettre à un examen biométrique de l’iris de leur oeil. Ce système couplé à une base de données servirait à lutter contre la fraude à l’aide humanitaire. L’ONG anglaise Statewatch dénonce un dispositif "intrusif" et "condescendant", portant atteinte aux droits de l’enfant.
Fuyant les guerres qui ravagent le pays depuis près de 25 ans (la dernière a vu à l’automne 2001 le régime Taliban renversé par les troupes américaines et une coalition d’opposants), plus de 2,3 millions d’Afghans seraient réfugiés au Pakistan et en Iran.
Depuis début 2003, le HCR dit avoir pris en charge le rapatriement de 380 000 personnes.
Aide conditionnée
Selon l’agence des Nations-Unies, sur les 250 000 réfugiés rentrés du Pakistan, 130 000 se seraient déjà soumis à la procédure d’identification biométrique mise en place dans ses trois centres situés dans la région de Peshawar.
Testé depuis octobre 2002, ce système exige de chaque membre d’une famille de fixer pendant quelques secondes l’objectif d’une caméra vidéo qui enregistre l’image de son iris dans une base de données partagée entre les trois centres. Dans le cas des femmes et des enfants, ce sont des personnels féminins spécialement engagés à cette fin qui effectuent les opérations.
Après cet examen, les réfugiés sont pris en charge par le HCR et perçoivent une aide au transport (de 5 dollars à 30 dollars par personne, selon le trajet), des bons alimentaires et des objets de première nécessité.
De plus en plus jeunes
Le HCR justifie le recours à l’identification biométrique par la nécessité de lutter contre la fraude consistant à passer plusieurs fois par les centres du HCR pour percevoir l’aide humanitaire.
Depuis le début de l’année, l’agence onusienne dit avoir repéré quelque 600 cas de "repasse". Si le chiffre peut paraître faible, le HCR se targue pourtant d’avoir économisé des millions de dollars en décourageant les fraudeurs potentiels, ainsi que l’a expliqué Kris Janowski, porte-parole de l’agence, lors d’un point-presse tenu le 8 août dernier.
A la mi-juillet, le Haut-commissariat a d’ailleurs renforcé la procédure : alors que l’examen n’était obligatoire que pour les plus de douze ans, il a été étendu à tous les réfugiés de plus de six ans. Selon l’organisation, des adultes auraient en effet tenté d’utiliser de jeunes enfants à des fins frauduleuses.
Atteinte aux droits de l’enfant ?
Si le HCR affirme que sa base de données n’associe les images des iris à aucun nom, ni aucune autre information personnelle, ce recours à la biométrie est vivement critiqué par les associations de défense des libertés individuelles.
Basée à Londres, l’ONG Statewatch.org dénonce ainsi dans un communiqué l’application d’un système aussi intrusif à de très jeunes enfants. Et rappelle l’article 16 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, adoptée en 1989 : "Nul enfant ne fera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation."
Statewatch critique également les risques de fichage à grande échelle et, surtout, l’attitude du HCR vis-à-vis des réfugiés. "Ce que l’on voit, au delà de cette affaire, c’est le discours condescendant du HCR à propos de gens qui sont si désespérés qu’ils tentent de récupérer quelques dollars et un peu plus de nourriture. Cela devrait pousser le HCR à s’interroger de manière urgente sur les conditions de vie en Afghanistan plutôt qu’à les considérer comme des criminels", écrit ainsi Tony Bunyan, l’un des responsables de Statewatch.
Des critiques que réfute Peter Kessler, qui travaille au siège du HCR à Genève : "Mais n’est-ce pas une violation des droits de l’enfant que d’être utilisé par des adultes ? De plus, le HCR ne partage pas ses données avec des gouvernements, sauf... dans certains cas. Mais ce n’est pas le cas en Afghanistan aujourd’hui. De toute façon, nous devons empêcher la fraude. Nous sommes responsables devant nos bailleurs de fonds."
Le résumé du point-presse du HCR sur l’identification biométrique des réfugiés:
http://www.unhcr.ch/cgi-bin/texis/v...
Un article du HCR dans un centre d’identification biométrique:
http://www.unhcr.ch/cgi-bin/texis/v...
Le communiqué de Statewatch:
http://www.statewatch.org/news/2003...
Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant
http://www.unhchr.ch/french/html/me...