L’homme transparent... Essentiel... Vrai, « clair », comme dit Kimy... « Nu », comme disait Simenon. L’entreprise est de plus en plus difficile tant nous sommes devenus des virtuoses du maquillage. De plus en plus lookés. Typés. Produits de casting. De plus en plus à l’aise devant les caméras « vérité » où nous jouons d’abord le rôle que nous nous sommes choisis. Que l’on attend de nous. Un exhibitionnisme de composition qui a été servi à la louche par Loft Story, ou par la psy télévision et la psy littérature supposées sonder les reins et les âmes.
En cette rentrée, on enregistre deux nouvelles tentatives pour faire sauter le rimel. Du moins, une ou deux couches. D’abord, l’irruption de la méchanceté avec l’émission de jeu de Laurence Boccolini qui sadise les candidats, au lieu de les caresser dans le sens du brushing. Ensuite, l’apparition sur grand écran d’une héroïne humanoïde de synthèse : Aki Ross dans Final Fantasy. Une pâte modelable au plus juste, comme bon vous semble. Quel rapport ? D’abord, ces deux approches de vérité vraie troublent. Provoquent un délicieux malaise. Une attente d’inattendu. De mise à poil. Peut-être parce que les deux procédés visent, sans bien sûr y parvenir, à éliminer l’acteur. Le pro et l’amateur. À s’exonérer de la société du spectacle dans laquelle nous rissolons et qui n’a plus grand chose de spectaculaire. En poussant à l’accident ou en fabriquant, à base de pixels et de bits, une créature à notre image. Mais qu’on rêve libérée de son modèle. Plus vraie que vraie. Affranchie des codes et des scripts. Une sorte de Caïn capable de tout comme dans la Genèse.
Bien entendu, il ne s’agit là que d’une préhistoire. La guimauve prévaut et les dés sont toujours pipés. Laurence Boccolini interprète la Maîtresse fouettarde sado-maso, mais les risques d’effondrement ou de déjantage de ses sujets sont beaucoup moins importants que dans une course de marathon aux jeux olympiques. Quant à Aki Ross, elle reste une poupée gonflée aux hormones 3D qui ahane des dialogues de Spirou.
Bosser, décaper, lyposucer, poncer
C’est bien là toute la difficulté. Pour déshabiller l’individu moderne, ce mannequin, et le débusquer, l’obliger à l’incident vraisemblable, révélateur, juste, il faut bosser. Décaper les apparences, les styles, lyposucer le gras qui enrobe le squelette, poncer et pas seulement représenter les innombrables postures sous lesquelles évolue le « petit homme ». L’expression est de Simenon. Un Simenon dont on redécouvre ce travail au burin, à la lime, à la pierre ponce, dans le livre Mes apprentissages (Omnibus, 2001). Un travail d’archéologue du vivant dont nous sommes orphelins.
Lisez ça. Des notes rédigées au fin fond de la France, de la préfecture de police, de l’Afrique, de l’Amérique, de la Russie bolchevique... qui traquent la vérité sous le théâtre de la vie. Qui démasquent. Qui décodent les silences ou le bavardage des jeux de société. Des notes qui servent de matériau aux romans que Simenon écrit de l’autre main où il traque les naufrages, les peines, les fardeaux, les héroïsmes rentrés. Du nu imperceptible à l’œil nu. Alors seulement, c’est un peu plus clair. Alors seulement, on peut apercevoir l’animal humain non plus tel qu’il se « regarde dans la glace » ou à la télé. Mais du dedans. La vérité, c’est du boulot. C’est minutieux.