Les institutionnels
7-Bernard Lang, chercheur à l’INRIA, 55 ans
Gentleman évangéliste
Il a donné un crédit scientifique aux logiciels libres.
Directeur de recherche à l’Institut national de recherches en informatique et en automatique, la crème de la prospection française dans le domaine, Bernard Lang a participé à la fondation de l’AFUL et aidé les grands médias et les instances politiques à prendre conscience du phénomène. Homme d’esprit, il joue au gourou, mais garde un ego raisonnable et reste accessible. Pourquoi s’être engouffré dans les lourdes responsabilités de l’AFUL ? « Je me souviens en avoir beaucoup voulu à des collègues chercheurs qui, ayant acquis le pouvoir de faire des choses se contentaient de vivre tranquillement dans leur coin. » Pour expliquer l’adoption de Linux au sein de l’INRIA, Bernard Lang souligne que « Linux est devenu convivial en même temps que les budgets diminuaient. Le passage progressif à une variante moins chère d’Unix, surtout en ce qui concernait les machines, a été naturel. C’était la solution de facilité... et en plus, c’était la meilleure ». Il se souvient, ému, de la première Linux Expo : « Nous passions enfin une barrière de reconnaissance. » Sa vision des combats d’aujourd’hui est bien tranchée : « L’empire contre-attaque par le biais des brevets logiciels : de fortes pressions des grands groupes industriels s’exercent pour rendre les techniques logicielles brevetables. Or, le brevet, c’est la possibilité d’interdire, pour 20 ans, de faire un programme qui fasse concurrence à un autre. Les études économiques convergent vers la nocivité, ou au mieux l’inutilité, du brevet logiciel pour l’innovation et la croissance économique. Le brevet logiciel est globalement néfaste au développement des PME du logiciel et des logiciels libres. »
http://www.inria.fr
Le logiciel libre aujourd’hui
Concernant les obstacles à la croissance des logiciels libres, Bernard Lang fait une analyse audacieuse :
« notre principal ennemi est le piratage, qui nuit beaucoup au déploiement des logiciels libres et permet aux éditeurs, qui se gardent bien de le combattre sérieusement, de préserver leur contrôle sur les segments non-solvables du marché des logiciels ».
8-Jean-Pierre Dardayrol, responsable de la MTIC, 41 ans
Mission impossible
Le bras armé du logiciel libre dans l’administration.
Que penser de la prise de conscience politique des logiciels libres ? Réduction des coûts, indépendance technologique, vision sociétale ? En 1997, Lionel Jospin fait un beau discours, et six mois plus tard annonce le PAGSI, plan d’action gouvernemental des systèmes d’information. Il comprend six volets, et le troisième concerne l’administration électronique. Pour le mettre en oeuvre, il faut un bras armé : la MTIC (Mission interministérielle pour les technologies de l’information et de la communication) est créée au printemps 1998. Jean Pierre Dardayrol en est le chef de service et jouera un rôle significatif pour l’adoption du logiciel libre dans les administrations. Il a su compléter la mission en créant un outil d’information très performant : le bouquet du libre, disponible sur le site officiel. Il rassemble 3 000 connectés par mois, dont 10 % d’universitaires, 30 % de collectivités locales et le reste dans les administrations d’...tat, qu’elles soient françaises ou étrangères. Chez nos voisins européens immédiats, on trouve selon lui, « peu d’équivalents de la MTIC, sauf chez les Italiens avec qui nous échangeons beaucoup. Les Anglais semblent encore timides dans ce domaine, et les scandinaves sont trop avancés pour en avoir besoin. »
http://www.mtic.pm.gouv.fr
Le logiciel libre aujourd’hui
Jean-Pierre Dardayrol a sa propre vision des avantages et inconvénients du libre, différente de celle des entreprises.
« Les trois grands freins au logiciel libre
sont le manque de formation, le manque de support et le manque de visibilité sur l’offre. Mais ça s’améliore sensiblement. » Maintenant, pendant les études et les négociations d’équipement informatique, « la direction du budget aborde systématiquement la question d’une solution libre comme une opportunité à étudier ».
Et aussi...
Les politiques : René Trégouët (Sénat), Jean-Yves le Déaut (Assemblée nationale) et Michel Sapin (ministère de la Fonction publique et de la Réforme de l’...tat).
Roberto di Cosmo (chercheur en informatique) et Jean-Paul Smet-Solanes (écrivain) : deux intellectuels réputés, au service du logiciel libre et respectivement auteurs d’ouvrages de référence sur l’affaire Microsoft et les brevets de logiciels.
Les bénévoles
9-Thierry Stoehr, instituteur, 33 ans
Leçon de choses
L’instit’ qui nous a sauvé de Microsoft éducation.
En mars 1998, Thierry Stoehr découvre l’autre visage de Microsoft en lisant un article consacré aux pratiques commerciales du géant de Seattle. Il s’intrigue au point de contacter son auteur, le chercheur en informatique Roberto di Cosmo, qui le poussera à faire ses premiers pas « d’homme libre ». Grâce à ce premier contact, il veut tenter une expérience : faire tourner Linux, pendant dix jours, dans une manifestation académique. Avec l’aide d’un constructeur (Getek) et le coup de pouce de Dominique Quatravaux, l’un des premiers experts Linux, pour installer les configurations, il effectue la démonstration sur des PC Pentium et 486. Le franc succès qu’il remporte l’incite à rédiger un compte rendu. Il sera appelé pour la création de l’AFUL, où il prend en charge la partie ...ducation et participe aux revues de presse. Pour cet instit’ passionné, « il s’agit plus d’une réaction idéologique sur l’accès et le partage du savoir pour tous et du refus des monopoles, notamment de la situation du programme de formation Microsoft auprès de l’...ducation nationale ». L’histoire s’emballe rapidement avec un accord cadre entre le ministère de l’...ducation et l’AFUL, en octobre 1998, l’organisation d’une rencontre de deux jours en juin 1999 au CNDP (Centre national de documentation pédagogique) pour présenter Linux et la première Linux Expo au même moment. Mais ses priorités restent les mêmes : trouver des contributeurs pour les traductions et la documentation et des passionnés pour mener des actions auprès des collectivités.
http://www.aful.org
Le logiciel libre aujourd’hui
Thierry Stoehr confesse qu’il y a encore beaucoup à faire pour les collectivités locales et l’éducation, mais aussi auprès du grand public, car selon lui,
« le marché du PC perso est essentiel ».
C’est le seul moyen de toucher les élèves et les étudiants et de convaincre les éditeurs multimédias qui ne franchissent pas encore le pas, faute d’utilisateurs.
10-Gérard Delafond, médecin, 44 ans
Médecin malgré Linux
Il crée le guide du débutant sous Linux.
C’est avec la rigueur d’un urgentiste et le sens de la débrouille d’un médecin militaire que Gérard Delafond a réalisé, en novembre 1998, un « guide de survie du débutant sous Linux », régulièrement actualisé. Des versions PDF, PS et même Palm ou Windows CE de son guide sont librement proposées. Delafond est le bon exemple de l’utilisateur basique, non-informaticien, qui, dans une logique de partage, restitue son expérience et complète ainsi l’offre didactique sur le site web de l’AFUL (Association française des utilisateurs de Linux). L’éthique du documentaliste improvisé s’écarte toutefois de celle du médecin : « toutes les opérations que vous ferez sur votre machine sont sous votre entière responsabilité », prévient-il...
http://www.medsyn.fr/perso/g.delafond/survie.htm
Le logiciel libre aujourd’hui
« Le logiciel libre est vraiment de qualité et devient indispensable. Aujourd’hui, ce qui peut aussi faire pencher la balance, c’est qu’il est de plus en plus francisé : n’importe qui peut s’attaquer à la traduction à partir du code source. À tel point que les sharewares sous Linux sont plus souvent traduits que les sharewares sous Windows. »
Et aussi...
Rémy Card, contributeur de la première heure, il a participé à la mise au point du noyau du système Linux.
René Cougnec, aujourd’hui décédé, qui avait contribué à la distribution des premiers logiciels libres par le biais de serveurs BBS.
Jean-Christophe Becquet, pour son suivi de toutes les applications Linux au service de l’éducation.
Et quelques centaines d’autres bénévoles dans les groupes d’utilisateurs et les associations...