Loïc Connanski vient de recevoir le prix multimedia de la Société des Auteurs Compositeurs dramatiques. Ce vidéaste dont le visage commence à circuler sur Internet est un obsédé de l’interactivité.
Vous avez peut-être déjà vu sa tronche. Une boule rasée, qui fait des grimaces, ou qui sourit bêtement. Loïc Connanski, pseudo d’un nom plus court et donc barbare, se donne lui-même comme sujet de son art. Enfin, art... Ça non plus n’est pas très clair : « Je suis borderline, en fait. Ma place aurait dû être soit dans les télés, soit dans les galeries, mais je ne suis nulle part entièrement. » Ce grand gosse - 42 ans - a débuté dans le journalisme. Vers la fin des années 80, il commence à piger comme caméraman chez France 3 et Associated Press. Simultanément, il pratique l’« autofilmage » en vidéo. Ses courtes œuvres, d’une à trois minutes, ne sont diffusées que dans les circuits alternatifs. Et pour cause : à travers ses sketches, Loïc Connanski dégomme la télé grand public, sa programmation affligeante, la pauvreté de ses émissions, la grande manip’ de la démocratie télévisuelle. Tout ça en rigolant, parce qu’il n’est pas du genre à brandir la hache de guerre. Il préfère grincer. Sa découverte de l’interactivité date de 1996, « lorsque les gens ont commencé à s’acheter des lecteurs de cédéroms ». Nul en informatique, Connanski tombe pourtant dans la potion magique du multimédia. Une affaire de chance : d’abord, il rencontre Pauline - devenue sa compagne - qui maîtrise ces outils. Ensuite, il récupère un banc de montage Avid bradé par un ami. « Je me suis mis à bidouiller comme un fou. Le montage numérique par rapport à l’analogique, c’est le traitement de texte comparé à la machine à écrire ! » Un an plus tard, sort The worst of Connanski, un cédérom absolument non-convivial, une réaction contre le battage médiatique entourant la déesse Interactivité. Son principe : l’artiste pose des questions au spectateur. Si les réponses ne lui plaisent pas, l’artiste le pénalise en diffusant une vidéo chiante ou déjà vue. « J’en avais un peu marre qu’on nous vante le citoyen cliqueur, après le citoyen spectateur, le citoyen conducteur... »
Fusillade
Récemment, l’une de ses installations s’ouvrait sur une page web boursière géante. Les visiteurs étaient invités à cliquer. Une voix de l’au-delà disait alors « clic », mais à l’écran, rien ne se produisait. À l’autre extrémité de l’expo, le clic déclenchait une fusillade dans une photo de guerre agrandie. « C’est un peu comme la théorie du papillon. Je fais l’hypothèse qu’en cliquant sur Internet, tu entres dans un circuit économique, dans une Machine avec des ramifications insoupçonnées. »
Loïc Connanski ne prend pas parti pour ou contre l’interactivité. D’ailleurs, celle qu’il propose est assez sommaire. La plupart du temps, elle sert seulement à relancer l’histoire interrompue. Il est fasciné : « C’est une boucle. Un rapport nerveux entre la souris et le sujet. » C’est rigolo, quand on fait chanter les têtes de Connanski d’un clic. Mais plutôt sordide, lorsqu’avec la souris on maintient sous l’eau une autre de ces têtes. Seul hic : ça ne rapporte rien. Même ses producteurs, les nordistes de Station Mir qui réalisent ses effets spéciaux, bossent à l’œil. Loïc et sa compagne graphiste - elle signe « La Fama » dans leurs productions multimédias - télétravaillent à domicile. Et ils ont l’air de bien s’amuser. L’an dernier, l’un de leurs projets interactifs a été sélectionné par Initial Cut, l’incubateur d’art récemment créé au sein de la Société des Auteurs Compositeurs dramatiques. Cette dernière a remis, en juin 2001, un prix multimédia à l’artiste, doté de 80 000 francs. Un bon début de budget.
Valeur marchande
L’artiste ne se soucie pas de savoir si son « Agendada » sortira sur le Web, sur cédérom, ou à la télé interactive : « Ça s’adaptera. » Ce qui compte, c’est que son projet ait une valeur marchande, et c’est aussi l’objectif d’Initial Cut. Le financement offert ne se situe pas dans le cadre d’une commande (trop dirigiste), ni dans celui d’une bourse (trop mécène) : il s’agit d’un fonds de coproduction. Le comité de sélection intervient sur le projet : « J’avais proposé une série de gags. Finalement, on a décidé d’en faire un agenda avec un bout de feuilleton quotidien, une éphéméride, les choses à faire, et puis une partie personnelle comme un vrai agenda. » Bref, presque l’impression de faire rentrer des investisseurs dans son capital... Un jour, on apprendra que la dernière messagerie internet à la mode est signée d’un artiste nommé Connanski !