...lections municipales obligent, les politiciens se lancent bon gré
mal gré sur Internet. Loin des guerres médiatiques à l’américaine,
les sites de nos cyberélus jouent encore la prudence et rivalisent
de classicisme. Après tout, l’important c’est d’en être...
Que
dit la loi ? |
Sollicitée
par les élus depuis des mois, la commission des comptes de campagne
donne quelques conseils sur le recours aux sites internet lors des campagnes
électorales.
- Un site internet ne tombe pas sous le coup de l’article L 50.1 du code
électoral qui interdit la mise en place d’un numéro vert dans
les trois mois précédant l’élection, car, de toute
manière, l’accès au site est payant pour l’internaute.
- La jurisprudence en matière de journaux ou documents écrits
est transposable à l’Internet. C’est le contenu du site qui permettra
au juge de l’élection de considérer si le site a été,
ou non, utilisé à des fins électorales.
- Il est interdit d’utiliser le site d’une collectivité publique
à des fins de propagande électorale ou de promotion personnelle
des élus sortants, dans la période d’un an précédant
les élections. Il s’agirait alors d’un avantage en nature provenant
d’une collectivité publique.
Précautions :
- Pour un site créé spécifiquement en vue des élections
: n’utiliser qu’un hébergement payant. Ne pas avoir recours à
la publicité, car, du point de vue du financement de la campagne,
les sites peuvent être assimilés à la presse écrite.
- Pour l’utilisation d’un site personnel : évaluer l’avantage en
nature quil constitue, notamment en fonction de la fréquentation
du site.
- ...viter tout lien ou fenêtre avec un site d’une collectivité
publique.
- En cas dhébergement par le site dun parti politique
: évaluer lavantage en nature en se conformant à la
loi du 11 mars 1988. |
« J’ai l’intention de lancer la première vraie cybercampagne électorale en France », affirmait Philippe Séguin, candidat RPR à la mairie de Paris, le 22 septembre lors de l’inauguration officielle de son site. L’argument fait bien rire Bertrand Delanoë, son opposant socialiste : « J’ai un site internet depuis un an. Comme souvent, Philippe Séguin reprend mes thèmes... » Si l’on attendait un signe, le voilà donc : Internet est entré en politique. Son terrain d’essai, ce sera la bataille pour les municipales de 2001. Déjà, de Lyon à Marseille, de Montpellier à Rennes, de Nice à Lille, de Dijon à Toulouse, les maires et ceux qui espèrent leur succéder affûtent leurs nouveaux outils. Et qu’importe si, en piste sur la Toile mondiale, ils ne savent pas encore à quoi va leur servir ce nouvel affichage virtuel... L’important, c’est d’y être.
Les deux « gros » candidats à la mairie de Paris sont partis à temps : ils ont des équipes, de l’argent, ils savent comment organiser la conquête du Net. Pour Séguin, c’est un UDF, Jean-Dominique Giuliani, conseiller municipal du VIe arrondissement de Paris, qui, dès le départ, a pris les commandes. En avril 2000, il dépose « philippeseguin.org » et « .net ». Quelques mois plus tard : « seguin2001.org », « .com » et « .net ». Au passage, il récupère, à l’amiable, toutes les déclinaisons captées par des petits malins. Seules deux bestioles un peu coriaces font mine de résister. Un étudiant de Sciences-po Lyon, vite ramené à la raison par des avocats. Puis un informaticien qui rétrocède son bien en espérant collaborer au développement du site officiel. Peine perdue. Giuliani, le monsieur web de Séguin, passe contrat avec une société spécialisée de ses amis, MMSA. Pour 200 000 francs annoncés, « seguin2001.net. » monte sur la Toile.
Une guéguerre
de nom de domaine
Du côté de Delanoë, l’affaire roule avec des militants. Et pour 100 000 francs d’investissement annoncé. Le site, en ligne depuis février 1999, a été relooké bénévolement pour les besoins de la campagne. Ils sont deux aux manettes de « bertrand-delanoe.org ». Une petite brune au sourire chaleureux, Aline Hartemann, étudiante en DESS de communication à Paris V qui s’occupe de la partie éditoriale, et un homme invisible qui préfère rester anonyme (il est par ailleurs webmaster d’une grande institution politique) et assure le fonctionnement technique du site. Au fait, c’est quoi une campagne internet ? Heu... « Lorsque l’équipe de com’ de Bertrand décide un truc, on n’est pas toujours mis au courant, confesse le jeune homme. On a encore du mal à faire interagir la campagne traditionnelle avec la communication sur le site. » Des idées d’interaction, pourtant, le candidat Delanoë n’en manque pas. Le 16 octobre, il annonce, lors d’une soirée de campagne au théâtre Mogador, qu’il va lancer une « grande consultation des Parisiens » sur son site, en partenariat avec la Sofres. Mais la technique ne suit pas. « Le problème, c’est qu’un même internaute peut répondre plusieurs fois au sondage en ligne », commente le webmaster désolé.
Au siège de campagne de Philippe Séguin, rue Saint-Dominique, on n’approche pas l’équipe web. Politique de com’ oblige. Idem pour la « cellule Internet » qui s’active en coulisses, et dont il n’est pas « utile » de connaître la composition. Peu d’infos filtrent sur la gestion du site au quotidien. Sans doute parce qu’il n’y a rien à montrer. Malgré les déclarations ambitieuses du candidat Séguin sur sa « cybercampagne », le Net apparaît comme un pâle relais de sa promotion en direct. Billet et journal de campagne, agenda, médiathèque, appel de fonds : du classique. Même chose sur le site du candidat socialiste, avec toutefois une légère différence : le contenu de la revue de presse. Chez Delanoë, beaucoup d’articles critiques sur Séguin. Sur le site de Séguin, rien sur Delanoë... Les deux abritent aussi les candidats de leur mouvance.
En province, les cybercandidats fleurissent un peu en désordre. Au risque parfois, entre guéguerre des noms de domaine et choix d’URL improbables, de brouiller leur communication avec les électeurs... Au mois de mai dernier, le socialiste Edmond Hervé, député-maire de Rennes (Ille-et-Vilaine), se met ainsi en devoir de réserver le nom de son site de campagne. Ce sera « rennes 2001.net ». Malheur ! Son rival, le candidat UDF Loic Lebrun, dépose « rennes2001.com », quelques mois plus tard. Aux internautes de se débrouiller pour les départager. Débuts difficiles aussi pour le maire de Montpellier (Hérault), Georges Frêche, dont le site s’est perdu sur la Toile. Bien qu’il affiche ses ambitions en double exemplaire, difficile de deviner qu’elles se trouvent sur « municipales-georges-freches.com » et sur « liberté-montpellier-convivialité.com » (son slogan de campagne).
Des élus largués
par la technique
Seul moyen pour s’y retrouver : les portails politiques. C’est en tout cas ce qu’ils affirment. Devant le désintérêt des partis à proposer des hébergements pour les sites de leurs candidats, les sociétés privées ont investi ce nouveau marché. Souvent pilotés par des militants, ces sites se spécialisent dans la vente de pages web en « package ». Pour une somme forfaitaire (lire article sur le marché des portails politiques généralistes), un candidat peut disposer d’un site clé en main, d’un e-mail, de forums, etc. La tactique a de quoi séduire des élus largués par la technique. Méfiance tout de même. Car la réglementation sur les comptes de campagne demeure très floue.
La loi qui organise les conditions de promotion publicitaire des élus ne dit rien, ou presque (voir encadré), sur les sites internet. Logique, l’outil n’existait pas lors de sa rédaction ! D’ailleurs, certains élus s’en inquiètent. Le sujet a déjà été abordé plusieurs fois lors des questions au gouvernement. Michel Esneu, sénateur RPR d’Ille-et-vilaine et maire de Dol-de-Bretagne, une petite commune de 5 000 habitants, a ainsi demandé au ministre de l’Intérieur dans quelle mesure le site d’une collectivité pouvait être suspecté de publicité électorale dès lors qu’il exhibe un élu. Selon la loi, toute communication de ce type est interdite durant la période électorale. Cette disposition a été étendue aux sites internet. Mais de nombreuses questions restent en suspens. Le site d’un maire en place, mis en ligne bien avant la période de campagne électorale, doit-il être intégré dans les comptes de campagne si l’élu se réprésente ? Si oui, quelles dépenses sont concernées ? Le coût de la réalisation du site ? L’hébergement durant le temps de la campagne ? Les candidats devront-ils couper l’accès à leur site à la veille des élections ? Les pages persos des élus, hébergées gratuitement par un fournisseur d’accès, sont-elles assimilables au don d’une personne morale, un financement légalement interdit ?
À toutes ces questions, le ministère de l’Intérieur peine à répondre. « Pour l’instant, nous invitons surtout les candidats à la prudence. En l’absence de jurisprudence, nous déconseillons, par exemple, l’hébergement gratuit des sites », indique Hélène Kubas, qui suit le dossier à la Commission nationale des comptes de campagne. « De plus, nous ne sommes pas en mesure d’apprécier le contenu réel des sites pour bien conseiller les élus. » Sans accès à Internet, la bonne volonté ne suffit pas...
Une impitoyable
bataille médiatique
Pourtant, il faudra bien un jour que les pouvoirs publics se penchent plus précisément sur la question. Car l’exemple des ...tats-Unis, sur ce terrain, montre que la communication politique a fini par exploser sur le Web. Une impitoyable bataille médiatique y a sévi pendant plusieurs mois entre les deux candidats à la présidentielle, le républicain Georges W. Bush et le démocrate Al Gore. Peu souvent, il est vrai, dans l’intérêt du débat. Chaque équipe de campagne disposait d’un préposé aux e-mails chargé de bombarder quotidiennement les rédactions des journaux de messages d’informations. Débordés, les journalistes passaient la quasi totalité de leur temps à comparer les arguments de campagne respectifs de chaque candidat ! « C’est une bonne façon d’attirer les internautes sur les sites et, surtout, de tenter de contrôler le contenu de l’information. En laissant peu de temps de réaction aux journalistes, cela laisse aussi moins de place à l’investigation », observe David Dulio, professeur de l’American University de Washington. Second bénéfice du Web dans la campagne américaine : la levée de fonds. « John Mc Cain, un sénateur républicain, a recueilli plus d’un million de dollars en ligne. Sans compter ce qui a été amené
par les bannières de pub », explique Dennis Johnson, professeur à l’université de Washington et qui réalise une étude consacrée à l’utilisation d’Internet dans
les campagnes électorales. Face à ces véritables machines de guerre électroniques, les premiers pas de la web politique en France semblent beaucoup plus prudents. À juste titre ?