Le cerveau humain est encore trop complexe à recréer. Certains spécialistes préfèrent s’inspirer de modèles simples, mais qui marchent.
La nature a tellement bien fait les choses que les scientifiques préfèrent la copier plutôt qu’innover. Devant les difficultés à mettre au point un cerveau artificiel, les chercheurs ont revu leurs ambitions à la baisse. Ils s’inspirent maintenant de systèmes plus simples, comme ceux du rat ou du chien, par exemple. Mieux vaut, disent-ils en substance, construire une fourmi qui fonctionne plutôt qu’un humanoïde incapable.
Leur but : obtenir, à partir de systèmes neuronaux simples, une forme d’intelligence complexe. Pour parvenir à ce résultat, ils empruntent plusieurs voies. Certains tentent de mettre au point un système évolutif : ils laissent le système qu’ils ont bâti apprendre par lui-même et le font parfois évoluer de génération en génération. D’autres chercheurs travaillent sur l’aspect collaboratif de ces systèmes : l’intelligence émerge, dans ce cas, de la collaboration d’un ensemble de systèmes simples. Cette voie de recherche, qui regroupe des scientifiques travaillant sur des robots simples, autonomes et capables de s’adapter à leur environnement, est désignée par les termes de « nouvelle intelligence artificielle », de « robotique comportementale », ou encore d’« intelligence artificielle située ».
Dès 1948, William Grey Walter a construit un robot très simple. Ce spécialiste américain de l’intelligence artificielle, qui a effectué une brillante carrière de neurophysiologiste en Angleterre, a créé une tortue dotée de 3 roues, d’une carapace en plastique, d’une batterie de téléphone et de deux « neurones ». Ces neurones se présentaient en fait sous la forme de circuits électriques destinés à amplifier et à transmettre le signal reçu par deux capteurs vers deux moteurs. Grâce à l’un de ces capteurs, la tortue cherchait de la lumière. Lorsqu’elle détectait une source lumineuse, elle s’en approchait. Et dès que la lumière devenait trop intense, elle s’en détournait. Quand la tortue heurtait un obstacle, elle changeait de direction sous l’effet du choc. Elle repartait ensuite dans sa quête de lumière en tâtonnant. Un jour, William Grey Walter a attaché une lumière sur le nez de sa tortue. Et l’a placé devant un miroir. La tortue a commencé à se dandiner et à danser. Walter a décelé, dans ce comportement inattendu, une première preuve de conscience de soi.
Une quarantaine d’années plus tard, Rodney Brooks, directeur du célèbre MIT (Massachusetts Institute of Technology), se désolait des piètres performances des robots conçus pour imiter les comportements humains. Ces ordinateurs roulants, véritables monstres d’informatique embarquée, devaient en effet traiter les informations recueillies par leurs capteurs avant de les identifier, de construire une représentation de leur environnement intégrant ces données, d’en déduire un comportement approprié, puis mettre au point une série d’instructions pour déclencher leurs moteurs. Brooks, qui se souvenait des livres de Walter qu’il avait dévorés lorsqu’il était enfant, a alors bâti des robots à l’attitude basée sur une série de « réflexes pavloviens ». Chaque action du robot était programmée comme une réponse à un stimulus : si le robot rencontrait un obstacle, son programme lui indiquait de tourner de
45 degrés à droite par exemple. Ces instructions étaient tellement simples qu’elles pouvaient s’inscrire directement sur le micro-processeur. Au milieu des années 80, Rodney Brooks a ainsi créé un ensemble de robots fourmis et de robots punaises dotés d’une intelligence certes limitée, mais d’une remarquable capacité à s’adapter à un environnement inconnu.
Mes aïeux, mes aïeux !
Aujourd’hui, plusieurs spécialistes de l’intelligence artificielle continuent de travailler dans cette voie. Les méthodes d’apprentissage des robots se sont perfectionnées. Les réseaux neuronaux permettent notamment à leurs drôles d’animaux d’affiner leurs comportements au fur et à mesure de leur apprentissage. Les parties « stimulus-réponse » des programmes informatiques se sont, en effet, complexifiés : à chaque fois que le robot réagit en fonction de l’information qu’il reçoit, son programme tient compte de la réponse. Ainsi, plus le robot répète une action, plus il devient capable de trouver l’attitude adéquate. Cette technique est utilisée, notamment, dans le domaine de la reconnaissance vocale : elle permet, par exemple, d’adapter ces logiciels à la façon de parler de chaque utilisateur. À Paris, au Laboratoire d’informatique de l’université Paris VI, Jean Arcady Meyer et son équipe travaillent eux aussi sur des générations de robots dont les lois s’inspirent de celles des animaux. Leurs « animats », véritables robots ou simples programmes informatiques, sont dotés de comportements très simples : leurs réseaux neuronaux les autorisent à suivre une lumière, à marcher ou à éviter des obstacles. Les algorithmes génétiques de leurs programmes informatiques permettent ensuite de sélectionner les comportements des animats les plus adaptés à l’environnement dans lequel ils évoluent, puis de transmettre ces caractéristiques à la génération suivante. L’équipe de Jean-Arcardy Meyer construit ainsi des générations de robots, jusqu’au moment où leurs capacités correspondent à ce que les chercheurs attendent. « Le résultat escompté se produit parfois à partie de la 100e génération », explique le chercheur.
Membres du club
De son côté, Dominique Duhaut, professeur à l’université de Bretagne-Sud, étudie les robots collaboratifs. Les spécialistes qui œuvrent dans cette branche de la robotique, essentiellement étudiée en France et aux ...tats Unis, considèrent que l’émergence d’un comportement intelligent provient non pas d’un phénomène de sélection, mais de l’interaction des machines en présence. Dominique Duhaut a débuté ses recherches en étudiant des robots... footballeurs. Un sport particulièrement adapté à l’étude de la coopération entre robots. « Les règles du football sont simples à comprendre. L’environnement se montre hostile - il s’agit de combattre l’équipe adverse - et l’objectif semble évident : il faut mettre la balle dans le but de l’autre l’équipe », explique le professeur. Il a donc construit une série d’insectes métalliques qui consacrent leur vie à jouer les Zidane de la robotique. Tous les ans, lors de la Coupe du monde des robots footballeurs, plusieurs centaines de chercheurs exposent les prouesses de leurs engins. Dotés d’une série de capteurs, d’effecteurs et de moteurs, ces robots à 6 pattes agissent en groupe, sous l’autorité d’un capitaine. « Leur cerveau reste au bord du terrain, note Dominique Duhaut, là où un programme informatique, installé sur un ordinateur, coordonne l’action des différents joueurs. Une fois que le logiciel a établi une carte du jeu, l’un des joueurs indique aux autres le comportement à suivre pour tenter de marquer un but. »
Qu’ils soient capables de se reproduire ou de collaborer, les robots qui s’autocomplexifient n’offrent pas seulement une alternative aux approches de l’intelligence artificielle. Tandis que Robert Arcady Meyer tente de mieux comprendre le système cognitif des animaux, Dominique Duhaut réfléchit à des systèmes capables de s’auto-assembler afin d’agir dans un environnement hostile. « Je m’interroge encore sur l’intérêt de l’étude des robots collaboratifs à court terme, explique-t-il, mais, sur le long terme, ces recherches pourraient un jour conduire à sauver des vies humaines. Pourquoi ne pas lancer des bouées intelligentes qui font la chaîne lors de marée noires, par exemple ? Ou des robots autonomes qui s’assemblent à la façon d’un jeu de mécano et qui s’aplatissent, contournent ou enjambent des obstacles pour faire exploser des mines ou aller secourir des personnes lors des tremblements de terre ? ».