Depuis 1962, Maurice Gross tente d’analyser la langue française. Toute la langue française. Un pari fou, qui a donné lieu à une base de données unique au monde.
Surprenant. Incroyable. Titanesque. Le travail entrepris par Maurice Gross est unique. Son système de traduction automatique s’appuie en effet sur une description exhaustive de la langue française. Une description entamée il y a presque 40 ans et qui comprend quelque 50 000 vocables et expressions !
Ce système opère en deux étapes. Il repère tout d’abord les différents éléments de la phrase (verbe, groupes nominaux, compléments, etc.). Une fois cette analyse effectuée, le logiciel procède à la traduction proprement dite, tout en tenant compte des relations qui lient les mots les uns aux autres. Ces relations sont indiquées dans des multitudes de curieux tableaux (voir schéma ci-contre) où figurent le type de noms, de prépositions et de compléments qui peuvent accompagner une liste de verbes, de noms ou d’adjectifs.
Dans le tableau qui correspond par exemple à la phrase : « A donne de l’argent à B », on trouve, en ligne horizontale, les verbes synonymes de « donner » : allonger, prêter, allouer, assigner, etc. En colonne, sont indiqués les types de sujets, de compléments (humains ou objets) et les prépositions qui accompagnent chaque verbe. Lorsqu’un verbe s’emploie correctement avec le type de sujet ou le
complément indiqué dans la colonne correspondante, l’équipe de Maurice Gross a inscrit un « + » dans la case du tableau (par exemple, « prêter de l’argent » se dit). Dans le cas contraire (« assigner de l’argent » est incorrect), elle comporte un signe « - ». Chaque signe « + » renvoie à une traduction particulière. Imaginez le nombre de possibilités !
Selon Maurice Gross, cette méthode permet d’éviter les erreurs de traduction lorsqu’un mot a plusieurs sens. De plus, contrairement aux autres systèmes, celui du chercheur français ne s’appuie pas sur un vocabulaire particulier, mais sur du vocabulaire courant, incluant par exemple des mots d’argot ou des expressions littéraires. Réaliste, Maurice Gross ne nie pas l’ampleur du travail qui reste encore à accomplir et qui laisse sceptique pas mal de ses confrères. Le chercheur sait qu’il ne verra jamais son travail aboutir à la conception d’un système de traduction automatique. « Mais je ne perds pas espoir, souligne-t-il, j’espère seulement qu’après ma mort, quelqu’un poursuivra mes travaux. »