Tout le monde sait où vous êtes.
Ou ça ne saurait tarder. Si vous ne voulez pas être localisé, une seule solution : éteignez votre portable.
« T’es où, là ? » Consubstantielle à l’usage d’un téléphone mobile, la question devient, à la longue, quelque peu agaçante. Mais, méfiez-vous, vous la regretterez peut-être le jour où l’on cessera de vous la poser. Car bientôt, tout le monde pourra savoir où vous êtes à chaque instant, grâce à la généralisation d’un service aux effets pervers : la localisation. En fait, on sait déjà où vous êtes. Depuis les premières heures de la téléphonie mobile, les opérateurs sont capables de situer n’importe quel client. Le réseau national étant composé de milliers de cellules plus ou moins grandes selon la densité de population, il suffit de vérifier dans quelle cellule se trouve l’abonné (à condition, bien sûr, que son mobile soit allumé). La précision varie d’une centaine de mètres en zone urbaine à un bon kilomètre en campagne.
L’arme anti-fugue
Jusqu’à présent, en France, seuls les pouvoirs publics ont le droit d’exiger des opérateurs la localisation d’appels dans le cadre d’une enquête judiciaire (ce fut le cas, par exemple, pour l’assassinat du préfet ...rignac à Bastia). Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Cet outil pourrait s’avérer très utile en cas d’accident, pour repérer les blessés, mais aussi pour retrouver la trace d’enfants fugueurs. Ou tout simplement pour guider des amis qui se sont perdus sur la route alors que vous les attendez depuis trois heures. Ce serait si pratique... Au Japon, l’opérateur NTT DoCoMo a franchi le pas. Pour environ 25 francs par mois, les parents inquiets peuvent recevoir instantanément sur leur ordinateur, ou par fax, la position de leur rejeton s’il est équipé d’un mobile PHS.
Petits et gros mensonges
Probablement lancée en Europe en même temps que les nouvelles générations de portables - GPRS et UMTS -, la localisation sera présentée comme une nouveauté technologique. Alors qu’il s’agit en fait d’un ancien système dont les opérateurs veulent aujourd’hui développer le potentiel commercial. En Grande-Bretagne, la société SpotFlash expérimente ZagMe, un service de promotion ciblée, via le mobile et basé sur la localisation. Lors de l’inscription sur le site ZagMe, l’abonné GSM indique ses centres d’intérêts. Lorsqu’il se rendra au centre commercial Lakeside à Thurrock, la première zone test, il recevra alors automatiquement par SMS (courts messages écrits) des offres publicitaires personnalisées. Le simple fait de s’inscrire, même si on n’achète rien, permet d’obtenir des réductions dans les magasins ou sur sa facture téléphonique. France Télécom n’est pas en reste : lors d’une expérimentation UMTS, l’opérateur historique a testé des services similaires. La cible ? La page d’accueil du site ZagMe affiche clairement la couleur : pantalon baggy, nombril piercé, mobile dans la poche, les ados sont clairement visés. Même chose du côté de l’américain Cellpoint, qui a dans ses cartons de nombreux projets de localisation en partenariat avec des opérateurs européens. Après les SMS, qui font un tabac dans les cours d’école, les opérateurs ont peut-être trouvé là un nouveau moyen de faire consommer le jeune public. Et accessoirement, ils habituent les clients dès leur plus jeune âge à être pistés.
Ces nouveaux procédés ne ravissent pourtant pas tout le monde. À commencer par les salariés, qui sont susceptibles d’être suivis en permanence grâce au téléphone généreusement offert par le patron. Quant aux Casanova sur le retour, ils auront quelques difficultés à assurer à leur légitime : « Mais si, ma chérie, je suis encore au bureau. » Fini les petits et les gros mensonges : on sait où vous êtes, inutile de tricher. Bien sûr, personne ne sera obligé de souscrire à ces services. Contacté, France Télécom nous assure que le système sera déclaratif. Et que la vie privée des abonnés sera scrupuleusement respectée. De même, si les autorités américaines poussent les constructeurs de mobiles à insérer une puce GPS dans tous leurs modèles - une balise qui permet, cette fois, un positionnement au mètre près -, c’est évidemment pour venir au secours des citoyens lorsqu’ils seront perdus en pleine montagne, et certainement pas pour les suivre à la trace. Curieux paradoxe : certains croient encore que le mobile rend libre - comme dans les pubs -, alors qu’ils paient pour des menottes électroniques en puissance. Vous avez demandé Big Brother ? Ne quittez pas...