L’avant-projet de loi sur la société de l’information prétend traquer les cybercriminels. Le résultat ressemblerait plutôt à un monde où chaque citoyen serait surveillé.
Dans l’intimité feutrée des cabinets ministériels se construit tranquillement l’...tat policier du 3e millénaire. L’avant-projet de loi sur la société de l’information, dévoilé par transfert.net, le 6 février, brosse le portrait d’un monde de cauchemar où les déplacements des citoyens virtuels que nous sommes seront enregistrés, tracés, « monitorés ».
Alors que notre Constitution considère comme fondamentales un ensemble de libertés, et qu’aucun ...tat démocratique n’oserait envisager la filature systématique de chaque individu et le fichage des activités et centres d’intérêt de chaque citoyen, c’est pourtant sans états d’âme que notre gouvernement prépare le cadre qui généralisera cette surveillance dans le « monde virtuel ». Selon cet avant-projet, tous vos déplacements sur la Toile, chaque site que vous aurez visité, chaque groupe de discussion que vous aurez consulté, seront enregistrés, loggés. Les fournisseurs d’accès à Internet, eux-mêmes, seront tenus de constituer, à leurs frais, et de conserver, pendant une durée d’une année, les énormes fichiers de la traque électronique. Innovation magnifique au nom de la sauvegarde de l’ordre public et la défense des intérêts fondamentaux de la nation. Un flic derrière chaque écran, sous chaque clavier, pour mettre l’autorité publique en mesure d’assurer la recherche et la poursuite des infractions pénales.
Au prétexte de traquer les cybercriminels fantasmatiques, on traite ainsi chaque citoyen en suspect qu’il importe de surveiller étroitement pour prévenir toute déviance.
Inutile de vous demander vos papiers : nous savons déjà tout ! Big brother vous regarde ; ici, aucun crime ne sera commis.
La surveillance est invisible, indolore, efficace. On oublierait presque qu’on veille aussi bien sur vous.
Quelle société de l’information veut-on ainsi créer ? Un espace de liberté et d’échange ? Des villes ou des jardins virtuels où le citoyen pourra flâner à sa guise ? Non pas ! Un immense centre commercial de verre, peuplé de vigiles et de caméras, où le consommateur pourra faire ses achats en toute sécurité, de lecteur de carte bancaire en portique anti-vol, cerné de belles vitrines et de panneaux publicitaires.
Décidément, les lobbies de tout poil ont l’oreille de nos politiques, prêts à se plier en quatre pour les satisfaire. Vendeurs de soupe et banquiers en ligne, réjouissez-vous ! La société protègera vos intérêts commerciaux.
Un seul intérêt ici a été oublié : celui du citoyen. Mais la liberté du citoyen, bien sûr, n’a pas de valeur marchande.
*Michel Bouissou est administrateur de réseau chez e-Quake, fournisseur d’accès.