Une entreprise française a modélisé les mécanismes de la mémoire. Vendue aux publicitaires, la méthode « Impact Mémoire » (IM) veut aider les marques à s’insinuer en nous. À notre insu ?
Pétrir la mémoire pour y incorporer de petits morceaux de marques publicitaires. Le rêve de nombreux annonceurs est aujourd’hui réalité. Impact Mémoire, une jeune entreprise française, a conçu un outil permettant d’évaluer les facultés de mémorisation d’une publicité par le cerveau. Exit les panels de consommateurs. Oubliés, les sondages à grande échelle sur des clients potentiels piochés dans l’annuaire. La force de l’indice IM - comme « Impact Mémoire » - c’est d’intervenir dès l’ébauche d’une campagne, lorsque les « créatifs » accouchent de la toute première maquette, et non plus a posteriori. Les concepteurs d’IM en protègent jalousement la recette, un assemblage savant de trente critères. « C’est une grille d’analyse qui permet, pour un message publicitaire donné, de définir le potentiel d’inscription dans la mémoire et de rémanence dans le temps », précise Bruno Poyet, 42 ans, le patron de la bande de trois personnes à l’origine du projet.
Quête du Graal...
Lui, gravite dans l’univers de la pub depuis plus de dix ans, à la tête du cabinet de conseil et d’achat d’espaces Climats Médias. « Depuis des années, raconte-t-il, les publicitaires nous demandaient comment améliorer l’efficacité de leurs campagnes. » Marié à une neurologue, Bruno Poyet entreprend de se former aux sciences cognitives et rencontre des spécialistes de la mémorisation et du stockage de l’information. Parmi eux, Bernard Croisile, 43 ans, chef du laboratoire de neuropsychologie de Lyon. Et Olivier Koenig, 45 ans, professeur en science et psychologie cognitives, également à Lyon. En 1999, l’équipe se fixe pour objectif d’évaluer scientifiquement un message publicitaire. « Nous avons d’abord recensé les ‘‘accélérateurs mémoriels’’ mis en évidence dans les travaux des spécialistes », souligne Bruno Poyet. Puis, ils accouchent d’un outil - « IM » - qui permet d’évaluer le potentiel de mémorisation de la publicité. Et qui, surtout, ouvre la voie à son optimisation. Pour « qu’un souvenir existe durablement, consciemment ou inconsciemment, il faut que les éléments explicites qui le composent s’accrochent fortement et le plus profondément possible (...), que ce souvenir soit composé de nombreux éléments pour multiplier les attaches, et enfin que son activation soit régulière dans le temps, parce que les liens, comme les chemins, ont besoin d’être entretenus », exposent les trois associés d’Impact Mémoire.
... ou propagande ?
« Pour une publicité, illustre Bruno Poyet, jouer sur l’émotion est un facteur de mémorisation. Cela génère des liaisons neuronales plus dynamiques. Il faut également travailler sur la surprise, le raisonnement ou les messages mnémotechniques. » Bref, donner dans le « Vas-y Wasa » ou le « Du bon, Dubonnet ». Les créatifs n’ont pas attendu la venue d’IM pour le comprendre... « Mais, précise Bruno Poyet, notre grille permet de systématiser ces intuitions, de classer les choses, de les quantifier. IM est une méthode de laboratoire, une expertise. » Pour preuve, les trois associés seraient parvenus à passer au crible, a priori et avec succès, une cinquantaine de campagnes (parmi lesquelles Volvic, Kookaï ou encore la Mairie de Paris) évaluées a posteriori par Ipsos. Cette efficacité se paie, de 20 à 50 000 francs pour l’analyse d’une esquisse de campagne. Mieux, « ce type d’études n’existe dans aucun pays, triomphe Bruno Poyet. Nous déposons donc des brevets et travaillons avec Ipsos pour des développements internationaux rapides ». Les publicitaires de la planète entière pourraient bien, si son efficacité se confirme, voir en IM l’ultime étape de la quête du Graal : la pénétration de la mémoire consciente et inconsciente des masses. Dont on n’a d’ailleurs pas vraiment demandé l’avis.
Du reste, peut-on se prémunir contre cet entrisme publicitaire ? « Avec les sciences cognitives, la pub peut faire entrer des choses dans la tête des gens, observe Bruno Poyet. Mais la mémoire consciente garde la maîtrise et, si IM fait durer le souvenir, nous n’avons pas encore trouvé le moyen de forcer la mémoire des gens. » Ensuite, assurent ses concepteurs, la capacité d’IM, c’est aussi de détecter les risques de propagande. On pense, entre autres, aux enfants dont le cerveau est très malléable. « Dès septembre, nous allons définir une charte éthique pour écarter de tels risques », promet Bruno Poyet. Enfin, « ce n’est pas parce que l’outil existe que tous les annonceurs pourront l’utiliser. Des lessiviers comme Procter sont incapables de prendre le moindre ‘‘risque créatif’’, car celui-ci peut entraîner l’échec commercial de leurs produits. Or, ce qui fonctionne, c’est d’abord la créativité. Ce n’est qu’une fois cette étape passée qu’IM permet d’opérer des réglages. Le nouvel outil n’est donc pas adapté à tous les annonceurs. » Cela n’empêche pourtant pas les gros poissons de s’y intéresser. « Nos premiers clients viennent des secteurs de la lingerie, de l’alimentation spécialisée, de la parapharmacie. Et on commence à travailler sur de gros annonceurs dans le domaine alimentaire ou ménager », énumère Bruno Poyet. Le cerveau de la ménagère de moins de 50 ans est en première ligne.