Sihem Bensedrine est journaliste et porte-parole du CNLT. Cette opposante au régime de Ben Ali a lancé sur la Toile Kalima, un magazine généraliste dont elle est la rédactrice en chef.
Pourquoi avoir lancé Kalima sur Internet ?
En Tunisie, il existe un régime de déclaration préalable des périodiques au ministère de l’Intérieur. C’est la condition pour obtenir le récépissé indispensable à l’impression du journal. J’ai effectué cette demande en novembre 1999, je n’ai jamais reçu de réponse… Dans ce contexte, le Net est évidemment très important : sans lui, je n’aurais pas pu lancer le magazine. Pour éviter les pressions de l’ATCE (Agence tunisienne de communication extérieure) sur les hébergeurs, nous sommes hébergés sur le serveur de Reporters sans frontières (RSF).
Le président tunisien mène, depuis quelques années, une politique volontariste en matière de développement de l’Internet. Et pourtant la censure y est omniprésente...
C’est révélateur de la schizophrénie du régime de Ben Ali. Vous savez, le discours officiel de Ben Ali, c’est : « Plus droits de l’homme que moi, tu meurs. » D’ailleurs, la Tunisie a signé des conventions en ce sens. Pourtant, la réalité est exactement inverse. Dans les commissariats, on torture avec la déclaration des droits de l’homme affichée sur les murs.
L’...tat tunisien développe Internet afin de se donner des apparences de modernité. Alors qu’il mène un combat d’arrière-garde en censurant et en surveillant la Toile. Vous ne consultez que ce qu’ils veulent
Comment se passe la gestion quotidienne de votre magazine en ligne ?
C’est très difficile. Les deux providers tunisiens, Globalnet et Planet [contrôlés par Ben Ali, NDLR] verrouillent les adresses FTP qui permettent de transférer des fichiers sur la Toile. C’est un outil indispensable pour actualiser un site. Pour en bénéficier, il faut souscrire un abonnement spécial. Les communications électroniques sont régulièrement interceptées. Ma ligne téléphonique est fréquemment coupée. Mais je garde espoir, car une partie de la jeunesse tunisienne s’est approprié Internet. Ces jeunes sortent ainsi des méthodes traditionnelles des politiques et des structures classiques de protestation. Ils ont choisi leur propre voie. Et savent comment faire face à une dictature...
Propos recueillis par ...ric Mugneret