Depuis un an, le musée de la Saline royale d’Arc-et-Senans s’est transformé en résidence pour artistes numériques.
Un château pour salle à manger. Bertrand, 23 ans, mal réveillé, Johann, 21 ans, au regard clair comme un éclat de lune, et leur chef d’équipe Nicolas, 29 ans, prennent leur petit-déjeuner à la Saline d’Arc-et-Senans, où ils sont artistes en résidence. Ils sont là pour mettre la dernière main à la webfiction interactive qu’ils doivent présenter en mars au Festival international du film internet (Fifi). La veille, le trio d’artistes multimédia a travaillé jusqu’à trois heures du matin. Explicit Spirits, leur œuvre, conte la descente aux Enfers de Viktor Morgavia, héros de série B inspiré de l’acteur Bela Lugosi. Le diabolique Vauvert l’a appelé pour mettre de l’ordre dans le monde des âmes damnées. Le scénario s’inspire d’Edgar Poe, de Mary Shelley (Frankenstein) et de Bram Stoker (Dracula). Mais, passé à la moulinette du multimédia, tout ce petit monde cornu et dentu devient singulièrement comique. Il n’y a d’ailleurs pas de vampires dans la cité idéale de Claude-Nicolas Ledoux. L’architecte utopiste du XVIIIe siècle avait construit son usine de production de sel, aujourd’hui devenue musée, au cœur d’un projet de village organisé en cercles concentriques. Le premier rang d’habitations était réservé aux artisans. La Révolution a mis un terme aux travaux. C’est donc sur ce site mi-réel, mi-virtuel, que le Fifi a créé, il y a un an, son premier atelier d’écriture interactive. Les lauréats y sont logés, nourris et blanchis pendant trois cycles d’une semaine. Au besoin, des experts leur donnent un coup de main sur le scénario ou la technique.
Sans cette résidence, les Nordistes auraient continué de travailler à distance - depuis Lille, Valenciennes ou Bruxelles. Par ailleurs, dans ce trou paumé du Doubs, ils sont « hors du tumulte des grandes villes », souligne le conservateur Jean Dedolin. « On n’est pas tenté de sortir le soir, acquiesce Johann. À part le bar de la Saline, pour boire un coup avec les routiers, y a pas grand chose... »
Une logique d’auteur
Il y a deux grands absents pour la dernière session à la Saline : le designer sonore, qui a livré ses fichiers de musique et de bruitages par e-mail ; le dessinateur, dont les tracés élégants s’étalent sur les feuilles de calques empilées près des Mac. Leur présence n’est plus indispensable : l’heure est à « l’intégration web ». Bertrand Binois se charge de l’animation, Johann L’écolier de l’interactivité et des couleurs. Nicolas Devos, le scénariste, s’y colle aussi. Les trois derniers sont des transfuges d’Œil pour Œil, une boîte de création web en plein essor, basée à Lille. Ils ont fait sécession en suivant Antoine Lebaube, fondateur du studio La Berlue et désormais producteur d’Explicit Spirits. Avec une idée en tête : aller au-delà des performances techniques et des défis visuels. « Il est réglo, approuve Nicolas. Il regarde le scénario et pas seulement les graphismes. Il suit une logique d’auteur, comme nous. » Nicolas Devos se définit lui-même comme un littéraire dans un univers où le livre n’a plus droit de cité. « J’ai voulu revenir aux écrivains dont s’inspire la série, qu’on les lise. Et ça marche ! Hier, une classe d’adolescents est venue voir notre travail. Ils nous ont parlé de l’univers fantastique de Poe. »
À l’occasion du Fifi, les artistes espèrent signer un contrat avec un éditeur de cédéroms. Mais ils ont surtout des attentes personnelles, comme Nicolas : « Après, on saura si on peut vivre de la webfiction, en se faisant rémunérer pour un travail d’auteur de six mois. » Si leur vœu est exaucé, un nouveau métier sera né dans le rêve de pierre de Ledoux.
Les lauréats de l’atelier
d’écriture interactive
C’est au cours du Fifi de mars 2000 qu’ont été sélectionnés les trois projets de webfiction en résidence à la Saline.
Explicit spirits, de Nicolas Devos, produit par La Berlue. Lille.
Fiction animée, réalisée par une équipe de six personnes.
Vie communautaire, de Michael Sterckeman. Angoulême.
Cet élève de l’...cole de l’image d’Angoulême fait tout lui-même : dessins, écriture et réalisation sur ordinateur.
Une femme de 30 ans, de Mireille Loup. Arles.
Plasticienne, cette réalisatrice travaille sur une base vidéo et photo pour créer une véritable « superproduction » du Net, avec une équipe de 17 personnes.
http://www.ot-arcetsenans.fr
http://perso.wanadoo.fr/saline-royale