La Madeleine est aussi un cybercafé, gratuit, pour les demandeurs d’emploi et les paroissiens en retard d’un monde. Et un curé qui a de la suite dans les idées.
On entre au rez-de-chaussée de la Madeleine par une petite porte, à gauche des grandes marches de l’église, face au boulevard Malesherbes, à Paris. D’un côté, la bibliothèque un peu désuète. De l’autre, une feuille indique « Cyber Espace Madeleine » sur les portes à double battants. Les néons habillés par un ruban de bois foncé contrastent avec les voûtes de pierre claire. C’est étonnant, mais c’est pourtant vrai : sous les marches de l’église de la Madeleine, on trouve un cybercafé. Gratuit. Réservé aux demandeurs d’emplois et à ceux qui n’ont pas encore sauté dans le train des nouvelles technologies. La date de naissance de l’association Cyber Espace Madeleine est plutôt étonnante : 25 décembre 1998. Pour l’initiatrice du projet, Elisabeth George, c’était un signe. Cette paroissienne de 50 ans, ancienne directrice de la communication au Monde Informatique, s’est consacrée deux ans à ce projet. Une véritable croisade, commencée au Québec : « J’ai assisté à la métamorphose de personnes en difficulté grâce à l’Internet. Devenues incapables de communiquer avec les autres, face à un ordinateur, elles sortaient progressivement de l’enfermement », dit-elle. De retour en France, elle suit un DESS création et gestion d’entreprise d’insertion à l’université de Marne-la-Vallée. Son projet d’études est tout trouvé : établir en France une structure similaire à celles des associations caritatives rencontrées au Canada. Emballé par son idée, le père Mollat du Jourdin, curé de la Madeleine, propose de lui offrir un lieu. Et s’enthousiasme : « Pour moi, ce cyberespace, c’était la chance de pouvoir offrir aux personnes en difficultés les moyens les plus modernes pour trouver du boulot. Et puis, permettre aux petits pépés et mémés comme moi de s’initier au Net sans essuyer le refus humiliant des enfants ou des petits-enfants. »
Pour trouver des fonds, Elisabeth active son ancien réseau professionnel : Axa, France Télécom, la Société Générale, Bayard Presse s’associent à l’aventure. Les distributeurs de logiciels, eux, restent sourds à ses requêtes. Pour les bénévoles, c’est le Secours Catholique qui propose son assistance. Xavier Penet, ancien ingénieur chez Alcatel, quitte la cellule d’Aubervilliers de l’ONG, spécialisée dans l’aide à la recherche d’emploi, pour venir chapeauter le Cyber Espace Madeleine. Malgré quelques réticences de l’évêque, ce café internet de la charité accueille enfin ces premiers élèves le 8 janvier 2001. Sous la Madeleine, les dix PC, offerts par les entreprises partenaires de l’opération, sont coffrés dans des meubles qui sentent encore le neuf. France Télécom assure, gratuitement, la connexion ADSL pour surfer sur le Net. On se croirait presque dans un café chic. Dans un coin, une bouilloire, du thé et des petits biscuits. Colette, 55 ans, et Djamila, 40 ans accueillent les élèves, notent les rendez-vous. La responsable de l’administration, Eva Kucejko, n’est là que le lundi. Il est 14 h et les machines sont déjà toutes occupées. « Pour nous roder, cette petite structure est idéale. Les élèves échangent, regardent les écrans des autres, confrontent leurs difficultés », explique Xavier Penet, 57 ans, responsable du centre. Il s’affaire, passe d’une épaule à une autre, donne des conseils. Il est presque débordé. « Ça pianote pas mal, hein ? », lui lance le père Mollat, amusé. Lui, Internet, il le voit surtout par la lorgnette du mail, qu’il utilise tous les jours sur son Mac. Palm Pilot en poche et suractif, il a déjà envie d’aménager 300 m2 de plus. Pourtant, l’équipe du Secours Catholique veut procéder étape par étape. Aujourd’hui, quelques petites annonces de-ci de-là, dans la presse catholiqueou dans le bulletin du quartier ont suffi à réunir 60 élèves plutôt réguliers. « Pour le moment, nous ouvrons trois demi-journées par semaine. Nous sommes 17 bénévoles, nous cherchons encore des formateurs pour ouvrir tous les jours », explique le maître des lieux. L’un d’eux, Jacky, 52 ans, explique : « Nous essayons de nous adapter à chaque élève. Il y a des niveaux tellement différents, certains n’ont jamais touché d’ordinateur. » Pour assurer les formations, Jacky s’échappe de son entreprise de BTP les lundis et mercredis. Il précise : « Nous sommes là pour faire les premiers pas avec eux, on essaye aussi de les laisser se débrouiller. »
Anne, une élève, regrette un peu le manque d’organisation. « Je suis assidue mais pas assez méthodique. J’apprécie beaucoup cet endroit pour la convivialité, mais j’ai du mal à m’adapter à un formateur différent à chaque fois. » Sociologue à la recherche d’un emploi, cette grande femme de 58 ans parle de la machine comme d’une étrangère dont elle ne comprend pas la langue. « Je suis déphasée. Les nouvelles technologies me passionnent, mais j’ai toujours besoin de mon crayon de bois. » Pour se familiariser avec le clavier, elle utilise pendant deux heures, deux fois par semaine, un logiciel de dactylographie. Face à Internet, la plupart des élèves sont de grands débutants. Il faut commencer par les bases : le clavier, la souris … C’est le cas de Benjamin, 38 ans, qui cherche aussi du travail. « Je n’ai jamais appris de vrai métier. Maintenant, on a besoin de l’ordinateur partout. Je voudrais savoir me débrouiller seul, mais il faut suivre les étapes. » Timide, ce jeune Angolais a soif d’apprendre. Mais, entre ces séances au centre, il n’a pas d’accès à un ordinateur. « C’est difficile de se rappeler de tout sans s’exercer chez soi. » Entre deux cours et en attendant de trouver un job, il guide bénévolement les aveugles dans Paris.
Ceci n’est pas
un autel de luxe
Comme lui, les autres élèves attendent beaucoup du centre et de ses animateurs. Avec parfois quelques surprises. « Un jour, quelqu’un est venu s’asseoir derrière l’écran, avec un petit bout de papier tout griffonné. C’était l’adresse d’un site de loterie. Je lui ai montré comment la saisir, puis je l’ai laissé jouer. Il n’est pas revenu. Peut-être qu’il a gagné une grosse voiture ou un séjour à Acapulco ! », sourit Jacky.
Le centre accueille, certes, tous ceux qui le souhaitent mais la priorité, pour Xavier Penet comme pour le père Mollat, demeure la formation des moins favorisés. « Je voudrais qu’on cesse de penser à l’enterrement de Charles Trenet dès qu’on évoque la Madeleine », s’énerve-t-il. La réputation huppée de son église l’agace. Non, sa paroisse n’est pas si riche qu’il n’y paraît. Il lance : « Quand j’ouvre l’église le matin, et que je la referme le soir, entre les dépenses de chauffage, d’électricité et les salaires des laïcs qui assurent le secrétariat et la maintenance, j’ai dépensé 15 000 Frs. Ça m’est égal de dépenser des sous, mais je veux trouver des solutions pour les pauvres. De toute façon, si un jour on manque de fric, le Bon Dieu nous aidera. » Avec ses grandes lunettes et son visage carré, ce prêtre sexagénaire n’a pas l’air toujours commode. Mais dès qu’il ouvre la bouche, son bagou parisien le rend nettement plus sympathique. Paris, il connaît : après des études de théologie à l’Institut catholique, il a été aumônier du Lycée Condorcet pendant quinze ans, puis curé de trois églises de quartier. Le père Mollat du Jourdin n’a jamais quitté sa ville et veille sur la Madeleine depuis six ans. Il dit se battre contre vents et marées pour développer le rez-de-chaussée de son église. Outre le Cyber Espace, on y trouve un restaurant, une bibliothèque, une buanderie, un foyer, des salles d’eau. Dernier projet commun avec l’association Cyber Espace Madeleine : la mise en ligne d’un site consacré à l’église et sa paroisse. Une façon concrète, pour lui, de sensibiliser les bénévoles, encore trop peu nombreux du côté des formateurs. Et de faire savoir, à Paris et ailleurs, que le curé de la Madeleine ne court ni après les honneurs, ni après les grandes cérémonies, mais n’a jamais assez de temps pour les démunis.