Grands écrans sur scène et caméra derrière le rideau, Jean-Marc Matos compose des ballets imprégnés de techno et de poésie.
Jean-Marc Matos n’a pas une histoire classique. On cherche un collant accroché dans un placard, une demi-pointe planquée sous un lit d’ado. Rien. Au fil de sa vie, on trouve un diplôme d’ingénieur, une tendance prononcée aux échappées intellectuelles, mais sa vocation de chorégraphe est tardive. Jean-Marc Matos raconte des jours qui coulent, où chaque étape semble le faire progresser. Sans accrocs. Depuis ses premiers cours d’expression corporelle jusqu’à son statut actuel de danseur reconnu, de défricheur de la chorégraphie multimédia, de pionnier de la transmission à distance d’émotions gestuelles. Le sourire accroché à un coin de lèvre, une jambe pliée sur le genou et les yeux fatigués, il tempère : « Je n’ai pas un parcours sans faute. J’ai aussi vécu l’échec. » Il marque un temps, agite ses mains dont les mouvements accompagnent chacune de ses paroles : « Je ne vois pas ça comme un parcours, mais comme une succession de rencontres. » De rencontres et de haltes exotiques. Des parents pigeons-voyageurs qui l’embarquent dans leur tour du monde. New York, pour suivre quelques années les cours des grands danseurs américains. L’Inde, pour une chorégraphie. L’Amérique latine, sac au dos. Matos vient plutôt d’une formation contemporaine. Bouleversé par un ballet de la chorégraphe américaine Judith Jamison - il est alors en école d’ingénieurs à Toulouse -, Matos prend ses premiers cours d’expression corporelle. Avec le sentiment de se frotter à d’autres explications du monde centrées sur le corps et son vécu, loin des raisonnements scientifiques. Au Venezuela, alors qu’il sert comme coopérant, l’ingénieur globe-trotter suit les cours de grands chorégraphes américains, de Merce Cunningham à Luncida Childs. L’initiation se poursuit à New York, dans les années 70 : « Juste avant l’arrivée de Reagan, qui a bouleversé la vie artistique américaine. Je n’avais pas envie de crever de faim. Je suis rentré en France. »
Jean-Marc Matos a aujourd’hui 48 ans, dont presque 25 de danse et de nouvelles technologies, de tentatives et d’expérimentations avec sa compagnie K-danse. Vidéos, robots, ordinateurs imprègnent sa danse, l’accompagnent sur scène. « Une tentative pour poétiser les machines », explique joliment Matos.
Bourreau de travail
En décembre 2000, à Monaco, il a été chargé de la sélection artistique d’une des manifestations du Monaco Danses Dances Forum, premier festival international où se rencontrent danse et multimédia. Cela sonnait comme une reconnaissance de son travail et de sa recherche. Il en est encore tout excité : « Réunir une centaine d’artistes venus de pays différents confère une existence. Et montre que l’affaire ne concerne pas seulement quelques illuminés. »
Pour le grand public, la danse contemporaine se résume à quelques rares noms - Maurice Béjart en tête, malgré ses 73 ans. La danse multimédia, elle, ne compte pas encore de star. Pas de grandes scènes, ni d’opéras. Les financements ? Jean-Marc hoche la tête : « Ils sont rares. » Une manifestation comme celle de Monaco ne fait pas de miracle, mais « si cela peut aider certains hauts fonctionnaires de la Culture à comprendre qu’il existe suffisamment de matière pour nous prendre au sérieux, ce sera déjà pas mal ». Matos a parlé sans hausser la voix, en prenant juste un ton plus ironique. Depuis 20 ans qu’il travaille en France, il a souvent dû batailler pour rassembler de quoi faire monter ses robots sur la scène. « Toujours sur la corde raide. » Matos se surprend même à envier ces grandes compagnies chorégraphiques, installées et financées. « Ce n’est pas mon rêve. Mais juste un peu plus de confort. Certainement. » C’est peut-être pour ça que lui et Anne Holst, sa compagne et partenaire, se sont associés avec France Télécom (lire encadré) le temps d’un échange : ils accèdent aux dernières créations des ingénieurs, qui, de leur côté, utilisent la sensibilité du couple pour imaginer de nouveaux outils de communication. « Nous sommes conscients d’être utilisés à des fins commerciales. Mais c’est la seule façon d’accéder à ces outils et d’aller plus loin. »
Ce projet aborde un thème qui traverse déjà le travail de Jean-Marc et Anne depuis plusieurs années. Comment transmettre des émotions à distance, via un réseau comme Internet, par exemple ? Comment faire exister virtuellement une représentation de soi-même qui ne se soit pas qu’un simple avatar ? L’abstraction plaît à ce danseur high-tech. Une problématique et son esprit s’échauffe, élabore, théorise, sème une nouvelle idée. Parfois difficile à suivre. Matos écrit des textes. Des pages et des pages de réflexion, matière première de conférences toujours plus ardues : de la simple place du corps sur scène aux innovations les plus folles permises par les nouvelles technologies. Son ami, le peintre Claude Jeanmart, a les mêmes tendances aux échafaudages intellectuels : « Quand on discute d’un thème, on va jusqu’à l’épuisement, du sujet et de nous-mêmes : on se pose toutes les questions possibles. » Rigueur, mais aussi opiniâtreté. Matos a des airs lunaires, mais ses amis le disent bourreau de travail.
Le dernier spectacle de Jean-Marc Matos et Anne Holst, Périple, conte l’histoire de deux êtres éloignés à la recherche de communication. Un ballet moderne imprégné d’effets technologiques bidouillés, de vidéo et de poésie. « Un voyage imaginaire. Comme une correspondance énigmatique entre deux personnages, à la fois très proches et très éloignés. » Dans l’une des séquences, ils se tiennent chacun à un bout de la scène et dansent une gigue en solitaire. Sa jupe noire se soulève, lui a des airs d’amoureux maladroit. Chacun est filmé par une caméra. À l’écran, les images de leurs corps se rejoignent. La danse en solitaire devient danse de couple.
« J’ai eu le coup
de foudre »
La séquence rappelle leur rencontre, elle aussi marquée par la distance et la vidéo. C’était en 1997. Anne Holst danse dans Ghost and Astraunauts. Spectacle pionnier en son genre : deux femmes évoluent chacune sur une scène différente, séparées par des kilomètres d’immeubles londoniens mais réunies grâce à l’image. Jean-Marc est dans la salle de l’autre danseuse : Anne, il ne la voit que sur l’écran. Ça lui a suffi. « J’ai eu le coup de foudre. » Un peu gêné de cette franchise, il se tourne en souriant vers sa compagne : « C’est vrai, hein ? On peut dire ça ? » Pour Jean-Marc, Anne est un tournant de sa vie. La jeune Danoise l’a initié au Butho, cette danse japonaise violente et syncopée née au lendemain d’Hiroshima et qui cherche à traduire la douleur des êtres vivant dans un monde à l’agonie. « Contrairement à la danse nord-américaine, très écrite, le Butho est un mouvement émergeant de l’intérieur, de l’intime. On ne va pas chercher en soi un simple mouvement esthétique. Cela donne au final quelque chose de plus organique et sensuel. » Cette aptitude à mélanger les styles et les techniques lui confère une place de précurseur que ses contemporains lui reconnaissent sans mal. « Il mène un travail de longue haleine, même s’il reste un peu dans l’ombre, dit de lui Didier Mulleras, autre chorégraphe multimédia. Mais, c’est vrai qu’il est plus reconnu pour son travail de réflexion que pour son œuvre proprement dite. » Les écrivains américains appellent writers’ writers ceux des leurs, qui, à l’insu du grand public, font avancer la profession. Avec Jean-Marc Matos, la chorégraphie a son dancers’ dancer. Un éclaireur du pas de deux.
Morceaux choisis
Mars 99 : I.R.
Spectacle danse et image pour deux danseurs (Théâtre du Trianon, Paris). Premier essai
de création avec une caméra infrarouge. On la retrouve dans Périple, créé
en décembre 2000, et dans le projet Murmures de la terre (prévu pour
l’automne 2001).
Mai 98 : IdI
Première collaboration avec Anne Holst, performance « en ligne » pour deux danseuses, entre Toulouse (Lycée des Arènes) et Cergy-Pontoise (...cole Nationale d’Art)
1991 : Ville invisible
Ce « spectacle total » réussit son pari interactif du vivant et de l’artificiel. Présenté au Centre national arts/technologies de Reims.
1983 : Plaisir synthétique
De retour de New York, Matos fait monter pour la première fois, lors du Festival de La Rochelle, un robot sur scène, entre les danseurs et les images virtuelles.
1981 : Suite altérée en terrains variables
Le dessin chorégraphique est calculé par ordinateur. Une évocation du logiciel Life-Forms utilisé par Merce Cuningham. Voir http://www.merce.org, le site du maître.