L’acteur numérique : toutes les qualités, sauf le cachet...
Depuis Bugs Bunny, Cochonnet et Elmer, l’animation a fait du chemin. Plus question de voir le même décor tourner en boucle - le cactus, le rocher, la montagne, le cactus, le rocher, la montagne... -, en arrière plan de Vil Coyote poursuivant les Bip-Bip. Désormais, écrit Wired, les animateurs font se tordre des colonnes de fumée tridimensionnelles pour dévoiler un miroir magique ou les reflets dorés d’une chevelure de princesse. Des exemples, pris dans le film Shrek et visibles au fil de sa bande-annonce. Ces réalisations, Jeffrey Katzenberg - le cofondateur de Dreamworks/DPI, producteur de Shrek - les qualifie, sans ambages, de "Saints Graals de l’animation numérique".
Au-delà du facteur humain
Percée majeure ? Comme on pouvait s’y attendre, la concurrence ne l’entend pas exactement de cette oreille, et les réserves vont au-delà du facteur humain : "À mon avis, la représentation de l’eau et du feu n’est pas encore acquise", note Eric Jennings, animateur freelance. Il rappelle que la musique, la dramaturgie, font beaucoup pour cacher les imperfections d’une animation qui, autrement, n’échapperaient pas à l’œil exercé d’un professionnel. "Je crois que l’on pourra parler de Graal lorsque l’animation saura recréer des êtres humains dans leur intégralité", dit Alvy Ray Smith, cofondateur du fameux studio Pixar. "Et l’être humain convaincant est encore à 20 ans de là..." Sinon, pourquoi les premiers films d’animation numérique auraient-ils mis un tel entrain à conter des aventures d’insectes et de jouets ?
Dans le sens du réalisme
Pour réaliser Shrek, Ken Bielenberg, le responsable des effets spéciaux du film, et ses équipes ont passé sept ans à mettre au point des représentations crédibles. De cheveux. De peaux. D’architecture faciale. De vêtements. L’un des tenants de l’aventure est même allé fouiller dans les archives de l’université de Stanford des articules traitant de l’interaction de la peau et de la lumière - information qui a permis de créer des logiciels d’animation allant dans le sens du réalisme. Car la peau humaine se montre rebelle à l’ordinateur. Elle est douce, translucide. Elle ne renvoie pas aussi franchement ni aussi régulièrement la lumière que la matière plastique ou le métal. Qu’elle vienne à manquer de puissance de conviction, et personne ne croira au personnage. D’où le souci de crédibilité anatomique sur lequel insiste Bielenberg. Le corps et le visage de chaque personnage ont été traités par couches concentriques : d’abord un squelette, puis des muscles et de la graisse, de la peau, enfin des vêtements. "Pour obtenir un sourire, au lieu de tirer les traits du personnage à partir de son enveloppe extérieure, nous simulons le jeu des muscles sous la peau", assure Bielenberg.
Objet de désir
Tenter de créer un être humain par le truchement de l’informatique n’est pas vraiment nouveau. Dès la fin des années 80, les animateurs Jeffrey Kleiser et Diana Walczak, inventèrent, pour nommer ces marionnettes numériques, le terme "synthespian" (à partir d’un mot grec ancien, signifiant "tragédien"). Mais pour le cinéma de ces années-là, faire tourner des acteurs dirigés par ordinateur n’était ni une priorité, ni un objet de désir : "Hollywood n’était pas prêt pour les ‘synthespians’, déclare Walczak dans les colonnes de Wired. Bien sûr, beaucoup de monde trouvait ça super, mais personne ne savait vraiment à quoi ça pouvait servir. Et les acteurs avaient peur de cette concurrence. "
Pour rassurer ceux-ci, reste pourtant un facteur-clé, qui conclut l’article de Wired : le budget. Car si les comédiens numériques appellent la comparaison du Saint Graal, ce peut-être moins à cause des défis techniques qu’ils posent, que des budgets exorbitants qu’ils réclament.