Les populations indigènes face aux labos pharmaceutiques : 13 points chauds de la recherche génétique.
1-NEWFOUNDLAND (Canada)
Peuple : caucasien
Chercheurs : Gemini Genomics (RU)/Baylor College (EU)/Newfound Genomics (CA)
Période : depuis 1998
Recherche : maladies cardiaques, obésité, psoriasis
En 1998, dans la région de Grand Falls (nord du Canada), des scientifiques du Baylor College (Texas) ont effectué des recherches sur une maladie génétique qui provoque des arrêts cardiaques. Leur attitude a fait scandale. La population, chez qui le gène malade est sur-représenté, a surnommé les chercheurs les « vampires du Texas », après qu’ils aient intimidé et harcelé des familles. Le gène a été breveté sans qu’on puisse être certain de l’origine des échantillons qui ont permis de l’isoler. En 2000, un groupe de médecins locaux a fondé Newfound Genetics, qui a passé un contrat avec la société anglaise Gemini Genomics pour isoler, parmi des volontaires locaux, les gènes de plusieurs maladies dont le psoriasis et l’obésité.
2-COLOMBIE BRITANNIQUE (Canada)
Peuple : indien Nuu-chah-Nulth
Chercheurs : Oxford University (RU)
Période : 2000
Recherche : arthrite
Le professeur Ward, de l’université d’Oxford, a collecté du sang chez
900 Indiens Nuu-Chah-Nulth volontaires, au milieu des années 80, dans le cadre d’une étude sur l’arthrite. Les Nuu-Chah-Nulth tentent en vain de récupérer leurs échantillons auprès de Ward, qui a reconnu avoir utilisé les tissus collectés pour d’autres recherches sans les informer. Larry Baird, le chef de la tribu, a déclaré, en septembre 2000, vouloir « tenir Ward pour responsable de ses actes devant la justice ».
3-PANAMA
Peuple : indien Guaymi
Chercheurs : gouvernement américain (US)
Période : 1993
Recherche : leucémie
En 1993, l’ONG canadienne Rural Advancement Foundation International a découvert que le gouvernement américain avait déposé une demande de brevet sur l’ADN d’une jeune Panaméenne de 26 ans, de la tribu des Indiens Guaymi. Elle était porteuse d’un élément unique, impliqué dans certaines formes de leucémie. Devant la mobilisation de plusieurs ONG et du Congrès des Guaymi, le gouvernement a retiré sa demande, en novembre 1993.
4-ISLANDE
Peuple : islandais
Chercheurs : DeCODE Genetics (ISL)/Hoffmann-La Roche (CH)
Période : depuis 1998
Recherche : 12 maladies génétiques
Depuis décembre 1998, la société islandaise DeCODE Genetics a obtenu du gouvernement le monopole d’exploitation d’une base de données constituée de 30 000 d’échantillons d’ADN,
650 000 filiations généalogiques et près de 500 000 dossiers médicaux. L’Islande compte 282 000 habitants. Le groupe pharmaceutique suisse Hoffmann-La Roche a acquis l’exclusivité d’exploitation des résultats et DeCODE a annoncé la découverte de cinq gènes, depuis 1999. La société admet avoir fait des demandes de dépôt de brevets. Au printemps prochain, l’association Mannvernd va attaquer le gouvernement islandais en justice et tenter de prouver que la base de données de DeCODE est anticonstitutionnelle (lire article p. 40).
5-ÎLE MAURICE
Peuple : indien, créole, chinois
Chercheurs : International Diabetes Institute (AUs)/Autogen (AUs)/
Merck-Lipha (ALL)
Période : depuis 1996
Recherche : diabète et obésité
Selon Autogen, les 1,5 million de Mauriciens représentent un des microcosmes les plus représentatifs de la variété génétique de la planète. Ils complètent la variété des 44 000 échantillons que le laboratoire australien a collectés dans le Pacifique. Sang, urine, ADN, dossiers médicaux et généalogiques ont été prélevés sur des volontaires. Conformément à sa politique, Autogen compte breveter tout nouveau gène découvert. Elle laisse l’exclusivité d’exploitation des résultats au groupe pharmaceutique Merck-Lipha et compte étendre sa collaboration avec le gouvernement mauricien.
6-AN HUI (Chine)
Peuple : chinois
Chercheurs : Harvard (EU)/Millenium Pharmaceuticals (EU)
Période : depuis 1994
Recherche : au moins 10 maladies
Selon les scientifiques responsables de ce projet, mené dans la province isolée et très pauvre de An Hui, 16 500 prélèvements ont été effectués depuis 1994. Le programme d’étude allie Harvard, le groupe pharmaceutique américain Millenium et le ministère chinois de la Santé. Tous les volontaires qui ont donné leur sang racontent qu’on leur a promis, en échange, des traitements médicaux, qu’ils n’ont jamais reçus. Le projet a été vivement critiqué par le responsable du Human Genome Project en Chine et l’ambassade des ...tats-Unis à Pekin. Il a déjà généré, selon le Washington Post, des millions de dollars de financement publics et privés pour Harvard ; et
environ 150 millions de dollars pour Millenium, auxquels participent, notamment, les laboratoires Hoffman-La Roche et Astra AB.
7-ESTONIE
Peuple : scandinave et balte
Chercheurs : Estonian Genome Center Foundation et Estonian Genebank Foundation
Année : depuis décembre 2000
Recherche : inconnue
Le gouvernement a lancé, en décembre 2000, un grand projet de banque de données génétiques, gérée par deux entités étatiques. L’Estonian Genome Center Foundation est l’association qui détiendra les données génétiques. L’Estonian Genebank Foundation s’occupera du projet commercial, dont le lancement a coûté 1,3 million de dollars. La fondation espère recevoir, sur les cinq prochaines années, 100 à 150 millions de dollars grâce aux licences et aux royalties issues des contrats non exclusifs qu’elle est en train de passer avec des groupes industriels étrangers. Les recherches devaient commencer avec un groupe pilote de 10 000 volontaires, à l’automne 2000, mais le manque d’information de la population a été plusieurs fois dénoncé et le projet a été retardé. Cette banque de données devrait devenir la plus grande du monde si, comme prévu, un million d’Estoniens (sur 1,4 million) participent au projet.
8-TAIWAN
Peuple : aborigène, austronésien
Chercheurs : Academia Sinica (TW) et autres universitaires et officiels
Période : depuis 1990
Recherche : sida, entre autres
Depuis au moins dix ans, des dizaines de milliers d’échantillons de sang ont été prélevés sur les populations aborigènes de Taiwan, par l’Academia Sinica, qui regroupe des chercheurs universitaires et hospitaliers. Lancé en 1999, le projet sur le sida mené par les chercheurs du Pintung Christian Hospital et du Kaohsiung Medical College prévoit
40 000 échantillons. Les recherches sont publiques. Mais elles ont toujours été menées sans le consentement des populations, sous le prétexte de bilans de santé et sans contrepartie. Cité par le Taipei Times, un généticien de l’université de Tzu Chi affirme que des brevets ont été déposés par les chercheurs. On ignore si des licences ou des accords commerciaux ont été négociés.
9-PAPOUASIE-
NOUVELLE GUIN...E
Peuple : Haga Hai
Chercheurs : National Institute of Health (US)
Période : 1989-1996
Recherche : leucémie
En 1989, une chercheuse américaine, affiliée à l’Institute of Medical Research de Papouasie-Nouvelle Guinée, a prélevé du sang sur 24 Papous de la tribu des Haga Hai. Ils étaient porteurs d’un élément unique, intéressant pour combattre certaines leucémies. En 1990, après avoir reçu les échantillons, le National Institute of Health américain a déposé une demande de dépôt de brevet sur la lignée cellulaire d’un des 24 donneurs, âgé de 20 ans. Il l’a obtenu en 1995. Devant la mobilisation d’ONG, le NIH a annulé ce brevet, en 1996, mais des échantillons des cellules peuvent toujours être achetés, pour 200 dollars pièce.
10-TASMANIE (Australie)
Peuple : caucasien
Chercheurs : International Diabetes Institute (AUS)/Autogen (AUS)/Merck-Lipha (ALL)
Période : depuis 1996
Recherche : diabète et obésité
Cette île du sud de l’Australie fait partie du programme de prospection génétique mené dans le Pacifique par l’International Diabetes Institute. Informations collectées : sang, urine, ADN, dossiers médicaux et généalogiques. Autogen compte breveter tout nouveau gène découvert. L’entreprise affirme vouloir élargir sa collaboration avec le gouvernement.
11-ÎLES SALOMON
Peuple : polynésien, mélanésien
Chercheurs : ministère américain du Commerce (EU)
Période : 1990-1996
Recherche : leucémie
En 1990, des chercheurs américains ont prélevé du sang sur une femme de l’ouest des Îles Salomon et un homme de 58 ans de la province de Guadalcanal. En 1993, les lignées cellulaires de ces deux individus ont fait l’objet de demandes de dépôts de brevet, au nom du ministère américain du Commerce. Sous la pression du gouvernement des Îles Salomon et de plusieurs ONG, cette demande a été retirée en décembre 1996.
12-NAURU
Peuple : micronésien
Chercheurs : International Diabetes Institute (AUS)/Autogen (AUS)/
Merck-Lipha (ALL)
Période : depuis 1997
Recherche : diabète et obésité
En 1997, l’île de Nauru (Micronésie) a signé un contrat avec l’International Diabetes Institute (IDI), une structure de recherche publique australienne liée au laboratoire privé Autogen, lui-même dans l’orbite du géant pharmaceutique Merck-Lipha. Sang, urine, échantillons d’ADN, dossiers médicaux et généalogiques ont été collectés sur des volontaires, selon un protocole d’éthique établi par Autogen. La société compte breveter tout nouveau gène découvert. Le gouvernement de l’île, qui compte 45 % de diabétiques parmi ses
9 600 habitants, recevra 50 % des
royalties touchées par l’IDI.
13-Îles TONGA
Peuple : polynésien, mélanésien
Chercheurs : International Institute on Diabetes (AUS)/Autogen (AUS)/Merck-Lipha (ALL)
Période : depuis novembre 2000
Recherche : diabète et obésité
En s’appuyant sur 25 ans de recherches publiques sur le diabète menées dans le Pacifique Sud par l’International Institute on Diabetes, Autogen a passé, en novembre 1998, un accord avec le ministère de la Santé des Îles Tonga, contre un pourcentage des royalties sur les futures découvertes. À partir de mars 2001, les 110 000 Tonguiens pourront se porter volontaires pour enrichir une base de données génétiques. Le Tonga Human Rights and Democracy Movement dénonce l’absence d’information de la population et l’absence de responsabilités claires dans le code éthique d’Autogen. Le groupe pharmaceutique européen Merck-Lipha, qui détient 15 % d’Autogen, a obtenu l’exclusivité d’exploitation des résultats pour six ans.