Claviers, disques durs, écrans...
À Clermont-Ferrand, ...cosynthèse recycle, depuis 1994, les produits électroniques et électriques. Cette décharge spécialisée transforme, chaque jour, des merveilles de technologes en amas de féraille et de plastique.
C’est au milieu de nulle part. Dans une zone industrielle, à la sortie de Riom, dans le Puy-de-Dôme, à une dizaine de kilomètres de Clermont-Ferrand. Au fond du parc d’activités, le long d’une voie ferrée secondaire envahie par les mauvaises herbes, se dresse entre les fenwicks un immense hangar de 700 m2. Poutres métalliques, plaques de tôle en guise de murs : nous sommes chez ...cosynthèse, une société spécialisée dans le recyclage des produits électroniques et électriques. Ici, atterrissent pêle-mêle des téléviseurs, de l’électroménager, des compteurs EDF et des centaines d’ordinateurs. Face à ces rebus hétéroclites, ...cosynthèse joue la carte du recyclage tout terrain. À l’extérieur du bâtiment s’étend une zone de stockage de 10 000 m2. Un immense terrain vague parsemé de bennes à ordures municipales dans lesquelles s’entassent des carcasses d’ordinateurs dépecées pièce par pièce. Des centaines de tubes à rayonnement cathodique, face contre terre, gisent sur le sol. Une vision surréaliste. Presque inquiétante. Des centaines de sacs de la taille d’un homme, gonflés par du plastique broyé réduit à l’état de granulé, attendent les camions. Chaque composant plastique est identifié par un marquage à l’encre bleue (ABS, PC, etc.). Dans le hangar, c’est un joyeux bordel organisé. D’immenses échafaudages s’élèvent jusqu’au plafond. Au sol, des chariots à roulettes regorgent des vestiges de PC. À chaque bac son composant : cartes électroniques, claviers, disques durs, batteries au lithium, squelettes d’unités centrales, processeurs, barrettes de mémoire vive... Seuls les plastiques et les verres des tubes sont triés et broyés sur place. Les cartes électroniques, elles, sont revendues à des sociétés spécialisées qui extraient l’infime quantité d’or qu’elles contiennent. La plupart sont des compagnies minières situées à l’étranger : Noranda, au Canada, ou Boliden, en Suède. L’aluminium des disques durs est expédié dans des fonderies. Les ouvriers d’...cosynthèse dépiautent les machines et font le tri. Au quotidien, l’activité relève du casse-tête chinois : transformer des produits totalement hétérogènes en des lots recyclés homogènes, revendus à des filières de retraitement spécialisées dans le verre ou les plastiques. « Quand un lot de déchets nous arrive, il comporte très souvent des produits disparates : des ordinateurs de marques et d’époques différentes, qui n’ont même pas la même composition », explique Fabien Tournut, le patron d’...cosynthèse. Une trentaine de composants plastiques peuvent cohabiter dans les ordinateurs. Et les vieilles machines ne comportent aucune indication sur les matériaux utilisés. Alors, ...cosynthèse s’est dotée d’un dispositif censé identifier la composition de chaque produit grâce à un système de mesure spectrométrique à infrarouge relié à un PC. En cas de doute sur une coque ou un clavier, les ouvriers font un crochet par cette machine ultra perfectionnée.
Malgré tout, les ateliers conservent un certain cachet artisanal. L’entreprise compte seulement cinq salariés à temps plein : le patron, la secrétaire et trois ouvriers, payés au smic pour 35 heures de travail par semaine. ...cosynthèse fait appel au renfort d’un CAT (Centre d’aide par le travail) chargé du démontage des ordinateurs. Cette semaine, la petite équipe s’attaque à un arrivage de tubes à rayonnement cathodique. Travail à la chaîne garanti. D’abord, séparer la dalle qui forme l’écran (verre au Baryum) du cône (verre au plomb). Figé à son poste de travail, un ouvrier s’acharne à grands coups de masse. Lunettes de protection, gants anti-coupure et vitre incassable : le tour de force est impressionnant. Les morceaux de verre sont expédiés vers un broyeur, à l’extérieur du hangar. Ils ressortiront sous forme de fins débris, en attendant de trouver preneur.
Pour l’heure, la tâche du recycleur n’est pas très rentable. ...cosynthèse fait trois millions de francs de chiffre d’affaires et dégage un bénéfice de 300 000 francs. Les ventes de résidus électroniques se négocient à la tonne et les tarifs pour le plastique broyé et le verre demeurent très bas : 1 000 francs la tonne pour le PVC, jusqu’à 2 000 francs pour l’ABS. Sachant que le coût de broyage est de l’ordre de 1 000 francs la tonne, on comprend aisément que la petite entreprise ne soit pas très lucrative... « Dans notre activité, plus on a de stocks, mieux c’est », explique Fabien Tournut. Pour rendre l’activité rentable, l’important est donc de recycler les déchets industriels, pas ceux des particuliers.
Pour donner sa vieille machine, il faut ainsi débourser 50 francs pour un écran, 10 francs pour un clavier et 30 francs par unité centrale. Pour les entreprises ou les administrations, la reprise s’effectue à la tonne. HP, France Télécom, des centres de sécurité sociale ou des services après-vente font partie des clients d’...cosynthèse. Rien de mirobolant, toutefois. La société recycle une partie infime des déchets électroniques et électriques de la région. Estimés à 25 000 tonnes par an, ...cosynthèse n’en récupèrent que 500 tonnes. Les municipalités auvergnates, comme les autres, ne jouent pas vraiment le jeu. Même la ville de Riom n’amène pas ses déchets à ...cosynthèse et préfère la mise en décharge, quatre à cinq fois plus économique...
Pourtant, Fabien Tournut est persuadé que le temps joue pour lui. À Bruxelles, loin de l’Auvergne et de ses volcans, une directive européenne pourrait bien changer la donne. D’ici à 2005, les constructeurs seraient dans l’obligation d’assurer le financement du recyclage de leurs produits en fin de vie, selon le principe du pollueur-payeur. « On est arrivé trop tôt sur le marché mais nous allons maintenant démarrer la phase industrielle », assure le patron d’...cosynthèse, convaincu que le cadre législatif en gestation amènera un coup de fouet à ses activités. Il vient d’ailleurs de signer un contrat avec les déchetteries de Lausanne et Genève, où, depuis 1994, la législation impose aux consommateurs une taxe à l’achat qui permet aux constructeurs de financer le coût du recyclage des ordis. Les déchets plastiques arriveront de Suisse par le rail et en wagons de 20 tonnes. Reste juste, pour ...cosynthèse, à débroussailler et remettre en service la centaine de mètres de voie ferrée qui longe les usines.