Ted Smith, 55 ans, est le fondateur-directeur de l’association anti-pollution Silicon Valley Toxics Coalition (SVTC).
Dans quel but la Silicon Valley Toxics Coalition (SVTC) a-t-elle été créée ?
Nous avons commencé en 1982, quand les premiers cas de contamination des eaux souterraines ont été découverts dans la Silicon Valley. À l’époque, l’électronique se présentait encore comme une industrie propre.
En quoi est-ce un secteur polluant ?
Depuis vingt ans, des taux anormalement élevés de fausses couches et de malformations chez les nouveaux-nés apparaissent régulièrement tout autour de la Silicon Valley, dans des quartiers résidentiels pauvres, dont l’eau est contaminée par les déchets toxiques. Plusieurs procès ont eu lieu. Certains sont en cours, notamment contre IBM, qui fait partie des sociétés responsables des pires cas de contamination (1).
Où en est la pollution dans la Silicon Valley ?
Nous avons plus de points d’eau contaminés par des produits chimiques dans la vallée que dans n’importe quel autre comté des ...tats-Unis. En partie grâce à l’action de notre association, l’agence gouvernementale de protection de l’environnement [EPA] a obligé les industriels à financer le nettoyage des dégâts. Ils ont fait un travail acceptable pour filtrer les eaux souterraines et en extraire les produits toxiques. Ils sont loin d’avoir fini mais, au moins, la propagation s’est arrêtée.
Qui sont les principaux pollueurs dans la région ?
IBM, Hewlett Packard, Intel, Advanced Micro Devices, Philips, National Semiconductor. En fait toutes les grandes compagnies qui ont des usines ici, sont responsables de cas de contaminations.
Dans le cadre de votre travail associatif, avez-vous déjà été l’objet d’intimidations ?
À de nombreuses reprises. Je n’ai pas le droit de vous donner leurs noms, mais nous avons découvert qu’une société fouillait nos poubelles et qu’une autre faisait photographier les gens qui venaient dans nos bureaux.
Le sort des ordinateurs obsolètes est désormais au centre du débat sur la pollution électronique. Quelle est la situation aux ...tats-Unis ?
Selon une étude publiée par l’EPA en 1999, un demi-milliard d’ordinateurs obsolètes vont entrer dans le flux des déchets produits par les ...tats-Unis d’ici à 2007. Cela représente un demi-million de tonnes de plomb, plusieurs millions de tonnes d’autres produits chimiques toxiques et des dizaines de millions de tonnes de plastique.
Quelle est votre opinion sur les exportations de déchets électroniques américains vers les pays asiatiques ?
C’est une attitude irresponsable, mais là encore, aucune loi n’empêche de le faire. Les ...tats-Unis n’ont pas ratifié la convention internationale de Bâle de 1989, qui interdit l’exportation de déchets dangereux. Il n’existe pas, à ma connaissance, de statistiques sur la question, mais tous ceux qui sont dans le business savent que la plus grande part des déchets de l’industrie électronique est envoyée par cargo vers la Chine, Taiwan et les Philippines.
Existe-t-il une législation fédérale concernant le recyclage des ordinateurs ?
Une loi existe, mais elle est assez imprécise. La plupart des écologistes l’interprètent comme une obligation de recycler à partir du moment où l’on a plus de six vieux moniteurs sur les bras. Aucune sanction n’est prévue si l’on ne recycle pas. En plus, la loi ne s’applique qu’aux grandes entreprises, pas aux PME ni aux particuliers.
La mise en place d’une législation comparable aux projets de directives européennes sur les déchets électriques et électroniques est-elle envisageable aux ...tats-Unis ?
Il n’y a pas la moindre chance pour que le nouveau Congrès républicain adopte ce genre de législation. L’électronique américaine ne veut pas de loi sur le recyclage. Toutes les compagnies de l’industrie high-tech ont fait savoir depuis longtemps aux Républicains qu’elles ne voulaient pas de « ce genre de truc ».
Le lobby de l’American Electronics Association [AEA] combat depuis plus de deux ans les projets de directives européennes. Quelle est la position du gouvernement américain sur cette
question ?
Dès la publication des premières versions des directives, en 1998, les grandes compagnies sont allées voir les fonctionnaires qui représentent les ...tats-Unis devant l’Organisation mondiale du commerce [OMC]. Ils sont parvenus à les mettre de leur côté. Ensuite, les représentants américains sont intervenus à Bruxelles à tous les niveaux possibles pour expliquer que les directives sont contraires aux principes de libre échange de l’OMC.
C’est le principal argument des industriels ?
Oui. Ils ont aussi soutenu que les contraintes que l’Europe veut imposer sont dénuées de fondements scientifiques ou médicaux. Ils ont ajouté que la commission n’a pas fait d’évaluation suffisante des risques écologiques induits par la mise en place des directives. Ils ont dit qu’aucune autorité n’a le droit de leur interdire d’utiliser telle ou telle substance et qu’il n’existe pas de matériaux de substitution aux produits toxiques que l’Europe cherche à bannir. C’est faux : ils sont plus chers, c’est tout.
Fondamentalement, pourquoi les industriels sont-ils opposés à ces directives ?
Ils redoutent les surcoûts de production. Le recyclage de l’équipement électronique est très cher, en particulier à cause du coût d’extraction des produits toxiques. Ils ne veulent pas avoir à payer pour ça.
Quelle sera la réaction des industriels américains si jamais les directives sont adoptées dans leur état actuel ?
Une requête sera déposée auprès de l’OMC. Une guerre commerciale va commencer. Elle ne sera pas moins rude que celle qui oppose déjà les ...tats-Unis et l’Union européenne sur les organismes génétiquement modifiés ou sur les hormones de croissance. C’est dommage, parce qu’après des mois de débats, plusieurs ONG américaines - dont la SVTC - étaient parvenues à faire dire aux représentants américains du commerce qu’ils ne s’opposeraient plus aux directives européennes. Mais ils peuvent encore changer d’avis, surtout avec l’arrivée (probable) d’une administration républicaine. De toute façon, les grands de l’électronique peuvent directement contester les directives auprès de l’OMC. L’AEA s’est déjà débrouillée pour que chacun sache que son dossier est prêt.
Que pensez-vous des directives européennes ?
C’est une très bonne chose. Elles placent enfin les industriels devant leurs responsabilités. Mais plusieurs dispositions prévues au départ ont déjà été supprimées sous la pression des lobbies. Les objectifs de recyclage fixés en 1997 dans la première version des projets de directives ont baissé de 25 % dans certains cas.
Silicon Valley Toxics Coalition :
http://www.svtc.org
(1) 128 anciens employés de l’usine IBM de Fishkill (New York) demandent réparation au fabricant pour les avoir exposés
aux éthers de glycol. Ces solvants toxiques, utilisés dans
la fabrication des semi-conducteurs, seraient responsables
de malformations et de cancers, y compris en France.