Créé en 1997, le réseau interne de France Télécom, baptisé Intranoo, accompagne la révolution culturelle de l’opérateur. Tout se passe désormais en ligne.
« Monstre », « grand machin », « vaste sujet », « c’est un peu secret, vous savez... » À l’évocation du réseau interne de France Télécom, les réactions se font vagues... Il est vrai qu’Intranoo (entre nous), un si joli nom, est gigantesque. Plus de 200 sites y ont été officiellement recensés, mais les experts de France Télécom pensent qu’ils sont au moins 500. Sur les 160 000 salariés du groupe, 93 000 possèderaient aujourd’hui l’identifiant et le mot de passe nécessaires à un accès à Intranoo depuis leur poste de travail. Des accès qui diffèrent selon la fonction exercée. Pour des raisons de sécurité, il leur est formellement interdit de connecter à la Toile les machines de l’entreprise. Pour limiter les risques d’intrusions intempestives de hackers, mais aussi « les surfs de divertissements au bureau », ironise un salarié de l’entreprise.
Le développement rapide d’Intranoo a accompagné, depuis 1997, la « révolution culturelle » de l’opérateur. « Le passage d’un statut d’administration d’...tat à une société anonyme cotée en Bourse. Et de surcroît, le passage d’une phone compagnie à une netcompagnie dont les actionnaires réclament des gains de production », comme le résume un cadre de la société. La terminaison en « oo », signe distinctif start-upien par excellence, se retrouve jusque dans les noms des sites. Ce qui donne par exemple des Facturanoo, Reunionoo, Dinootoo, Corsicanoo, et même Voyoo, site de la branche Val d’Oise-Yvelines dont le nom provient des trois initiales VOY suivies des deux incontournables OO... Symbole de cette « révolution », les bureaux administratifs, implantés localement, cèdent peu à peu la place à une dizaine de centres informatisés de ressources humaines, répartis sur tout le territoire. Des structures qui gèrent les salaires, les congés maladies ou les prestations sociales. Dans ce grand chambardement en cours, Intranoo incarne la transition, brutale pour certains, vers une dématérialisation totale des ressources humaines. Selon Jean-Pierre Forbé, président du syndicat CGC France Télécom, l’intranet a introduit un changement fondamental dans la diffusion d’informations au sein de l’entreprise. Un seul mot d’ordre : la chasse aux documents papiers. « Auparavant, l’une des missions des cadres était la diffusion des informations. Cela relevait de leur sphère de responsabilité et cette diffusion était orientée vers l’amélioration de la production », souligne Jean-Pierre Forbé. Avec le développement du réseau interne, les salariés sont censés partir à la pêche aux infos les concernant.
Cours à distance
Pour les cadres, il s’agit désormais de « donner du sens » à ces documents. Objectif : productivité. « Le problème, c’est que nous sommes confrontés à un flux d’informations très important, témoigne une salariée dans une agence commerciale grand public. Intranoo est effectivement un moyen rapide d’accéder, par exemple, aux fiches d’un nouveau produit. Mais cet exercice me demande tout de même dix minutes chaque matin... » Mais encore faut-il maîtriser un minimum la navigation sur un réseau interne. Pour cela, les salariés de France Télécom ont droit à deux jours et demi de formation aux nouvelles technologies. « J’ai suivi cette formation. Pour moi, elle était largement insuffisante. Certains salariés de France Télécom n’ont jamais utilisé Internet. Le simple fait d’apprendre à créer des signets sur Intranoo n’est pas évident pour tout le monde », explique une autre employée.
De la même façon, et plus généralement, certaines sessions de formation en face à face ont été remplacées par des cours à distance sur l’intranet. Pour suivre tel ou tel module les stagiaires s’inscrivent sur « Formons-nous ». Puis, reçoivent par mail l’adresse à laquelle se connecter sur le réseau interne. Un logiciel développé par IBM, baptisé Learningspace, sert de support à l’enseignement. « C’est un squelette dans lequel nous entrons le contenu pédagogique du module », précise un formateur de France Télécom spécialisé dans les réseaux. En fait, l’interface se résume à une base documentaire et à une page (très rudimentaire) sur laquelle figure le nom des personnes participant au module. Les stagiaires disposent d’outils de visioconférence (dans des mini studios dédiés) et de forums de discussion consacrés au cours. Les corrigés des exercices sont envoyés, via le réseau, sur les messageries internes des salariés. Pour les problèmes d’ordre technique, ils peuvent également faire appel à une hotline... Mais le gain de temps est pour le moins discutable. « Avant, en face à face, les formations ne duraient que deux ou trois jours. Aujourd’hui, cela prend deux à trois semaines. Et on perd, évidemment, le côté convivial », souligne un formateur, qui préfère garder l’anonymat. Autre problème, les mini studios dédiés à la visioconférence ne sont pas légion...
Les clients-employés
Toujours dans l’objectif du « zéro papier », une partie du personnel de la netcompagnie est également invitée à poser ses jours de congés ou à gérer leur intéressement en pianotant sur leur clavier. Un serveur baptisé Anoo est entièrement dédié à l’accomplissement de ces tâches administratives. D’abord déployée au sein des directions régionales de France Télécom, l’utilisation d’Anoo est appelée à se généraliser dans les mois à venir. Ainsi, les salariés qui le souhaitent peuvent, d’ores et déjà, remplir un formulaire de demande de congés. La requête est envoyée automatiquement au manager concerné, qui doit la valider. « Si le manager n’a pas procédé à la validation dans les 24 heures, un mail lui est automatiquement envoyé pour lui signaler que des validations l’attendent dans Anoo », souligne un chargé de mission auprès d’une direction régionale qui supervise la mise en place d’Anoo. Une fois sa demande acceptée, le salarié reçoit, par courrier électronique, un accusé de réception.
Derrière ces procédures automatisées, un autre logiciel - Alliance - fait le décompte des jours de congés et renvoie le tout dans les directions concernées. « Mon manager se trouve à des centaines de kilomètres de mon lieu de travail. Nous nous rencontrons seulement deux à trois fois par an. Mes congés, je les gère directement sur Anoo », confie un employé de France Télécom plutôt satisfait du système. Mais d’autres sont moins enthousiastes. « Je suis équipée d’une station de travail qui date d’une quinzaine d’années et j’ai utilisé une fois le réseau interne pour poser des jours de congés, explique une autre salariée de France Télécom. Il m’a fallu 20 minutes alors que remplir une feuille de congés m’en prenait cinq. » Patricia Chapuis, du syndicat SUD, voit même dans le développement d’Intranoo « un risque que tout acte administratif glisse vers le domicile. Du lieu de travail vers la sphère privée ». Mêmes inquiétudes concernant les risques d’une auto-formation basée sur le volontariat... D’autant que, depuis septembre 2000, France Télécom a lancé l’offre Netcompagnon : 20 heures d’accès à Internet (via Wanadoo), pour 89 F par mois, pour tous les salariés de France Télécom. Avec la possibilité de se doter d’un micro à domicile par le biais d’un crédit à taux préférentiel. Objectif déclaré pour les salariés : « Améliorer leur connaissance du Net et des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) en leur facilitant l’accès à Internet, depuis leur domicile, et aux ressources de l’entreprise (Intranet). » Un bon moyen, aussi et à l’instar du plan Netgeneration de Vivendi, de s’attacher ses propres salariés. Et de gagner des dizaines de nouveaux clients-employés...