Il n’y a pas que le Net qui ennuie le régime tunisien : la chaîne satellite Al-Jezira a tendance à dire des vérités qui blessent.
Les Tunisiens n’ont pas besoin de technologies ultra performantes pour échapper à la
propagande qui asphyxie leurs médias. Leur bouffée d’air s’appelle Al-Jezira, une chaîne
satellite du Qatar qu’ils sont des dizaines de milliers à capter grâce aux nombreuses paraboles qui hérissent les façades du pays. Al-Jezira, un canal d’info continue en langue arabe lancé
en 1996, a immédiatement séduit des millions de téléspectateurs au Proche et Moyen-Orient. Son secret ? Un déploiement impressionnant de correspondants dans de nombreux pays, façon CNN. Mais surtout, chose tellement rare, un journalisme rigoureux, équilibré et des talk-shows efficaces, sans langue de bois. Al-Jezira parle de tout ce qui se passe dans le monde arabe, analyse les faits sans s’embarrasser des susceptibilités locales et tend le micro aux opposants, surtout quand ils sont véhéments, donc bons pour l’audimat (ses détracteurs soulignent
pourtant qu’elle se montre moins mordante avec le pays qui la finance, le Qatar...).
Bien entendu, cette impudente exception dans le paysage audiovisuel ne ménage ni le
général-président Ben Ali, ni son régime. Ce qui explique son succès, impossible à chiffrer précisément en Tunisie. Ce qui explique aussi que les autorités aient remué ciel et terre pour la réduire au silence. Le ministère des Communications a déjà tenté de faire
disparaître les paraboles, accusées de défigurer les paysages des villes ! La décision est
heureusement, tout à fait inapplicable.
Dernièrement, le gouvernement de Carthage a annoncé vouloir mettre sur pied une chaîne satellite d’information en arabe, cofinancée par la Libye. La manœuvre est grossière :
il s’agit de concurrencer l’influence d’Al-Jezira. Mais on doute que les Tunisiens se
méprennent jamais sur la saveur de cet ersatz.