Le groupe de travail des forces de l’ordre européennes réclame une surveillance généralisée de toutes les données : e-mail, téléphone, fax, internet, données bancaires... Le tout, archivé pendant sept ans !
Surveiller et enregistrer "tout appel téléphonique, fixe ou mobile, tout fax, e-mail, contenu de site web, toute utilisation de l’Internet, de n’importe où, par n’importe qui". Faciliter l’accès à l’adresse physique et "logique" (adresse IP, email, etc.), le type de matériel utilisé et leurs n° de référence, les login et mots de passe, n° de compte et détails bancaires (code secret de la carte compris), etc. Archiver le tout pendant... sept ans. Et en autoriser la consultation, par les forces de l’ordre et les services de renseignements, non seulement dans le cas de crimes et délits avérés, mais aussi lors d’enquêtes portant sur de simples infractions, même mineures. Voilà, en résumé, ce que propose Enfopol, conseil des forces de l’ordre européennes réunissant les représentants des ministères de l’Intérieur des 15 pays de l’Union. Les documents qui révèlent l’affaire n’auraient pourtant jamais dû être rendus publics, leur consultation, pouvant "faire échouer l’efficacité des délibérations en cours". Elle avait d’ailleurs initialement été refusée à Statewatch, une ONG européenne centrée sur la liberté d’expression. Mais l’ONG a finalement pu se procurer le document... Sa publication a reçu la caution de Privacy International (créateur des Big Brother Awards) et de l’ACLU (American Civil Liberty Union), une des principales associations américaines en matière de protection des libertés et des droits humains. Nom de code de la campagne : "SOS Europe".
Autoritaire, totalitaire
"Il est impossible, pour les enquêteurs, de savoir à l’avance quelles sont les données qui s’avéreront utiles aux fins des enquêtes criminelles", indique Enfopol. Pour le groupe de travail, la seule mesure législative efficace serait donc d’interdire l’effacement et l’anonymisation des données de trafic au niveau des FAI. Six pays (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Pays-Bas, Royaume-Uni) feraient ainsi pression pour qu’il n’y ait pas d’effacement automatisé des données, mesure pourtant prévue dans l’avant-projet de Loi sur la Société de l’Information (LSI) du gouvernement Jospin, et réclamée par les instances européennes de protection des données personnelles. Particulièrement influentes en Europe, celles-ci représentent un obstacle majeur aux visées sécuritaires d’Enfopol. Le rapport de Statewatch détaille ainsi la somme de directives et conventions visant à protéger les droits de l’homme et la vie privée qu’un tel projet ferait voler en éclats. Pour Tony Bunyan, un des représentants de l’ONG, "si de telles pratiques avaient été initiées par des états autoritaires et totalitaires, ils auraient été condamnés pour violation des droits de l’homme et des libertés civiles. Le fait qu’ils émanent de pays "démocratiques" européens ne les rend pas moins autoritaires, ni totalitaires."
Un cheval de Troie américain
Enfopol, pour sa part, est souvent perçu comme un cheval de Troie des forces de l’ordre américaines au sein même des instances européennes. Ce groupe de travail avait fait scandale, il y a quelques années : Enfopol et le FBI négociaient alors secrètement la mise en place de "normes" internationales d’écoutes et d’interceptions des télécommunications, dans une totale obscurité et sans aucun contrôle démocratique. Des normes qui venaient tout juste, sous la pression de l’opinion publique, d’être refusées aux ...tats-Unis. Pour Mike Godwin, héraut de la défense des droits et libertés sur le Net, les choses sont claires : les Américains ont coutume de vouloir mettre en place à l’international ce qu’ils ne parviennent pas à instaurer dans leur propre pays.