La société agro-alimentaire a décidé d’attaquer le site d’appel au boycott pour contrefaçon de marque. Les avocats de deux parties donnent leur analyse de l’affaire.
Emmanuel Pierrat, 32 ans, avocat spécialiste de la propriété intellectuelle, représente Olivier Malnuit et jeboycottedanone.com. Le site a été attaqué le 13 avril en contrefaçon par Danone. Auteur et chroniqueur dans la revue professionnelle
Livres-Hebdo, l’avocat est également enseignant au Centre de formation des journalistes de Paris et spécialiste de l’histoire de la censure.
Jeboycottedanone peut-il prouver qu’il ne fait pas de contrefaçon de la marque Danone ?
Non, je ne pense pas. Le droit des marques est très différent du droit d’auteur en ce sens qu’il ne reconnaît aucun droit à la parodie, au pastiche ou à la citation. Les marques, qu’elles soient figuratives, sous la forme d’un logo, ou nominatives, sont très faciles à protéger. Les entreprises sont mêmes poussées à attaquer les gens qui citent leur marque puisque, si elles ne le font pas, celle-ci peut être frappés du syndrome Pédalo ou Frigidaire, autant de marques tombées dans le domaine public. C’est pour cela que Bic est connu pour avoir attaqué des romanciers le citant, même de façon neutre, ou que Caddie a souvent poursuivi des journaux. Dans le pur droit, donc, Olivier Malnuit est condamnable. Danone le sait d’ailleurs très bien, puisqu’il attaque en s’appuyant sur le droit de la propriété intellectuelle et non en diffamation. Je n’espère pas prouver juridiquement qu’il n’y a pas eu contrefaçon : cela supposerait de renverser 150 ans de jurisprudence... Par contre, on peut obtenir un jugement qui ressemble à une félicitation pour Olivier Malnuit. Par exemple, une condamnation au franc symbolique et la publication d’un texte de jugement qui rappelle au passage les turpitudes de l’entreprise Danone et met en relief ses torts dans cette affaire. C’est par exemple le cas dans certains jugements rendus contre le magazine Voici : la publication d’un jugement auquel il a été souvent condamné, rappelant les faits incriminés, produit un effet encore plus négatif pour le plaignant que l’article d’origine. Nous avons par ailleurs l’espoir d’ouvrir un débat autour de l’emprise des marques sur la réalité et l’évolution des techniques de censure.
Avez-vous connaissance d’autres poursuites menées par le groupe Danone contre des partisans du boycott ?
Non, pas à ce jour. Je pense en tout cas qu’ils sont trop malins pour s’en prendre à la grande presse. L’attaque contre jeboycottedanone.com est détournement pur et simple du droit de la propriété intellectuelle qui permet d’attaquer en contrefaçon et non en diffamation. En effet, pour prouver qu’il est diffamé, le plaignant est obligé de rentrer dans un débat contradictoire qui expose le problème de fond, ce que Danone veut éviter.
L’utilisation du droit de la propriété intellectuelle par les grands groupes pour faire taire les critiques n’est pas une chose nouvelle. Y a-t-il un mouvement parmi les juristes pour combattre cette dérive ?
Non, pas réellement. Nous en parlons bien sûr entre juristes, mais il n’y a pas de projet de front pour obtenir une réforme. Parmi les avocats, beaucoup se plaignent de l’extension grandissante du droit d’auteur ou du droit à l’image. Pourtant, dans ces cadres juridiques existent brèches dans lesquelles les défendeurs peuvent s’engouffrer, au nom du droit à l’information, par exemple. Dans le droit des marques, il n’a y a aucune exception au nom de la parodie, du pastiche, ni même du droit à l’information. Toute citation, même nominative, est condamnable. Il existe de nombreux cas de jurisprudence obtenues par des marques qui ont essayé de faire interdire toute citation en faisant appliquer le droit à la lettre. La seule limite est que le retour de bâton de ce genre de stratégie peut être encore plus négatif que ce qu’on attaque au départ...
Danone attaque en contrefaçon le site mais aussi le nom de domaine. Y a-t-il une différence, juridiquement ?
Non, je n’en vois pas. Le droit de la propriété intellectuelle répond au principe de spécialité qui dit qu’une marque est protégée pour son activité particulière. Mais ce principe ne vaut pas pour certaines marques qui ont une notoriété très forte et dépassent le cadre de leur activité d’origine. Pour ces marques, que j’appelle notoires, la citation, dans n’importe quel contexte, est attaquable. Le nom de domaine ne fait donc pas l’objet d’un traitement particulier. La condamnation du site ratp.org, qui pastichait la régie des transports parisiens, en est un exemple.