Incapables de tout surveiller, les autorités chinoises ont diversifié les entraves à la libre circulation de l’information sur l’Internet. Des policiers de l’Internet ont été formés dans plusieurs provinces et au moins trois " cyber-dissidents " sont actuellement emprisonnés. Le gouvernement de Pékin proclame haut et fort sa volonté de développer l’Internet qui a, selon les mots du président Jiang Zemin, un " impact profond et positif " en Chine. Selon les autorités, le nombre d’internautes chinois double tous les six mois. Ainsi, on serait passé de moins de neuf millions d’internautes au début de l’année 2000 à 20 millions au début de l’année 2001. Le nombre de sites sur la toile chinoise doublerait tous les ans, et aurait atteint soixante mille au début de l’année 2001.
Depuis maintenant deux ans, les autorités ont sensiblement modifié leur politique de contrôle de l’Internet. La stratégie de la " cyber Grande Muraille " mise en place, dès 1997, par les ministères de la Sécurité publique et de la Sécurité d’Etat, a été délaissée au profit d’une répression sélective et d’un contrôle effectué par les fournisseurs d’accès et les responsables des sites eux-mêmes. Le développement exceptionnel de l’Internet ne permet plus techniquement de contrôler le contenu des millions de e-mails qui transitent chaque jour dans le pays. En revanche, les autorités n’ont pas abandonné l’idée d’interdire aux internautes chinois de se rendre sur des sites jugés dangereux pour " l’ordre social et le système socialiste ". Cette nouvelle stratégie consiste également à établir un arsenal juridique permettant de punir la cyber-criminalité et la cyber-dissidence. Ainsi, en janvier 2001, l’agence officielle Xinhua a annoncé que toute personne " impliquée dans des activités d’espionnage " telles que " voler, découvrir, acheter ou divulguer des secrets d’Etat " grâce au web ou a d’autres moyens, risque une condamnation à mort ou une peine de prison de dix ans à perpétuité.
A la fin de l’année 1997, le ministère de la Sécurité publique avait déjà mis en place une série de mesures restrictives, notamment un texte qui régit l’accès au réseau (Security Management Procedures in Internet Accessing). Les abonnés étaient contraints de s’enregistrer auprès de ce ministère pour avoir accès à l’Internet. Aujourd’hui, il n’est plus obligatoire de se faire enregistrer mais la police peut demander aux fournisseurs d’accès l’identité de leurs clients. En mai 1999, le ministre de la Sécurité d’Etat a installé dans les serveurs des fournisseurs d’accès deux systèmes destinés à contrôler le contenu et la destination des e-mails. De plus, les autorités collaborent avec l’Université de Shenzen afin de développer un système capable de détecter et d’effacer des e-mails " indésirables " sans en avertir le destinataire et l’émetteur. La consultation des sites étrangers, qualifiés de " politiquement sensibles ", est également limitée par les autorités. Pour mobiliser ses services à travers le pays, le Bureau de la sécurité publique (Public Security Bureau) a diffusé, en septembre 1999, une circulaire appelant à la " guerre contre les articles antigouvernementaux et anticommunistes publiés sur le Web ". Le texte précisait que " tous les articles publiés sur l’Internet par des éléments hostiles doivent être communiqués à la police et aux organes du Parti et sont interdits de diffusion ".
Enfin, en janvier 2001, le ministère de la Sécurité publique a créé un site d’informations sur les lois en vigueur, www.china-infosec.org.cn, qui avertit notamment les internautes des risques qu’ils prennent s’ils diffusent des informations " subversives ".
Les opérateurs et les responsables des sites d’information doivent censurer eux-mêmes les contenus contraires aux lois promulguées par les autorités. Par exemple, sur les pages du principal site d’information chinois, sohu.com, la rédaction prévient qu’elle informera les autorités de l’identité des internautes qui enfreignent les lois en vigueur, notamment l’interdiction de mettre en ligne des informations mettant " en danger la réputation de l’Etat ". Au sein des principaux sites, des employés, appelés les " Big Mamas ", sont chargés de traquer les commentaires politiques subversifs, les annonces indésirables ou les messages trop engagés. Sohu.com mobilise ainsi, depuis octobre 2000, plus de cinquante personnes pour scruter l’ensemble du site.
Malgré ces contrôles, les forums de discussion sur le Web restent un lieu privilégié d’échange d’opinions politiques, de critiques de l’action gouvernementale ou de diffusion d’informations sur des dossiers de corruption. En 2000, un scandale portant sur plusieurs millions d’euros et impliquant des dirigeants politiques et des officiers, a été régulièrement abordé sur des sites chinois. Ces échanges via l’Internet ont joué un rôle important dans la dénonciation de cette affaire.
Considérés comme de véritables criminels, les cyber-dissidents chinois encourent de lourdes peines de prison.
En novembre 1999, quatre militants du Parti démocratique chinois (interdit) ont été arrêtés par la police. L’un d’entre eux, Wu Yilong, a été condamné à onze ans de prison. Dans l’acte d’accusation, il lui était reproché d’avoir " tenté de renverser le gouvernement en utilisant l’Internet ". Selon la police, il aurait utilisé le Web pour publier des articles sur le Parti démocratique et envoyé des e-mails à des organisations dissidentes chinoises à l’étranger.
Le 18 janvier 2000, le dissident Leng Wanbao a été interrogé pendant trois heures par la police après avoir diffusé à l’étranger, via l’Internet, la lettre d’une autre dissidente. La police a rappelé à Leng Wanbao que l’envoi d’une telle lettre était contraire à la loi sur la sécurité d’Etat.
Le 3 mars 2000, on a appris la libération de Lin Hai, un cyber-dissident créateur d’une société de logiciels, condamné à deux ans de prison pour " incitation au renversement d’Etat ". Arrêté en 1998, il avait été reconnu coupable d’avoir fourni 30 000 adresses électroniques chinoises à des revues dissidentes à l’étranger. Ces dernières avaient utilisé les adresses pour distribuer, par le biais de l’Internet, des articles contestataires. Libéré dans le plus grand secret en septembre 1999, Lin Hai s’est montré très réticent à parler de sa situation, laissant entendre que les autorités lui ont proposé une libération anticipée en échange de son silence. A sa sortie, Lin Hai s’est qualifié lui-même de " premier prisonnier de l’Internet chinois ".
Le 3 juin 2000, Huang Qi, responsable du site www.6-4tianwang.com, qui propose un forum de discussion, a été arrêté par la police et accusé de " subversion ". Les autorités lui reprochent la publication sur son site Internet, hébergé aux Etats-Unis, d’articles dénonçant le massacre de la place Tienanmen, en juin 1989. On y trouvait ainsi une lettre ouverte de la mère d’un jeune lycéen tué pendant le massacre demandant la réhabilitation du mouvement pro-démocratique de 1989. Or, depuis que les autorités ont qualifié le " second printemps de Pékin " d’" incident révolutionnaire ", le sujet est tabou en Chine. L’ordinateur de Huang Qi et tous les documents trouvés à son bureau et à son domicile ont été saisis. Le site, ouvert à " tous ceux qui ont quelque chose à dire ", est toujours actualisé par des dissidents chinois basés aux Etats-Unis. Mais il est inaccessible pour les internautes chinois.
Le 16 août 2000, Jiang Shihua, un professeur d’informatique de la province de Sichuan (sud-ouest du pays), a été interpellé par la police. Il est accusé d’" incitation à la subversion ". Il se servait du cybercafé dont il est propriétaire, le " Silicon Valley Internet Coffee ", à Nanchong, pour diffuser des articles critiquant les autorités. Il avait notamment publié des articles pro-démocratiques dans un groupe de discussion sur le réseau. Il est poursuivi pour " incitation à renverser le pouvoir d’Etat ". Il n’a toujours pas été jugé.
Qi Yanchen, rédacteur en chef de la revue en ligne Consultations, a été condamné, le 19 septembre 2000, à quatre ans de prison pour " subversion " et " diffusion d’informations anti-gouvernementales par l’Internet ". Les autorités lui reprochent d’avoir écrit, sous le pseudonyme de Ji Li, des articles pour le mensuel de Hong Kong, Kaifang, et la lettre d’information dissidente basée aux Etats-Unis, VIP Reference. Il avait également publié sur son site des extraits de son livre " L’effondrement de la Chine ", prônant des réformes politiques. Au moment de son arrestation par la police de la province d’Hebei, il travaillait sur le nouveau numéro de Consultations. La police a saisi son ordinateur, son fax et ses notes.