L’installation était illégale et polluante mais ce sont les écolos qu’on empoisonne
Mercredi 17 septembre commence à Agen le procès de six personnes poursuivies pour avoir mis hors service l’incinérateur d’ordures ménagères de Fumel (Lot-et-Garonne) en mars 1999. Pour leurs défenseurs, cette installation, qui rejetait des cendres chargées de dioxine, n’aurait jamais dû être autorisée à fonctionner.
Le 15 mars 1999, un groupe de 14 personnes investit l’incinérateur de Fumel, sectionne les câbles d’alimentation et démonte la porte du four principal.
Militant d’AC (Agir contre le chômage), Gérard Cariat prend part à l’action. Arrêté et traité "comme un terroriste", ce riverain de l’incinérateur a déjà écopé de 15 jours de prison préventive et de 6 mois d’assignation à résidence, "avec interdiction d’assister à des réunions".
Quatre ans après les faits, Gérard Cariat comparait, mercredi 17 septembre au palais de justice d’Agen, en compagnie de cinq autres personnes, pour "entrave à la liberté du travail" et "dégradation volontaire".
Un ouvrage mal né
"Nous avons fait œuvre de salubrité publique", affirme le comité de soutien aux inculpés. Ce collectif, qui regroupe plusieurs associations, partis et personnalités, appelle à manifester mercredi devant le palais de justice d’Agen. Lors de l’audience, José Bové, le porte-parole de la Confédération paysanne apportera son témoignage à Agen, pour défendre le concept d’"état de nécessité".
Selon ses détracteurs, l’incinérateur de Fumel, géré par le syndicat intercommunal des eaux de la Lémance, n’a jamais respecté les normes environnementales, ni même été enregistré à la Drire (Direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement), comme l’exige la réglementation.
L’arrêté du 4 juillet 1986 autorisant sa mise en service ne tenait en effet pas compte d’un arrêté ministériel, paru un mois plus tôt, fixant des dispositions beaucoup plus sévères qu’auparavant sur les rejets de polluants dans l’atmosphère. Dès sa naissance, l’incinérateur est donc hors-normes.
La cheminée de l’incinérateur, construit sur une colline, crachait des cendres dans les jardins de riverains, dont celui de Gérard Cariat. Surtout, ces derniers s’alarmaient du classement sans suite de plusieurs rapports de bureaux d’étude et d’une enquête de la Ddass en 1998 sur la vétusté de l’incinérateur et la nature des fumées rejetées.
Pourtant, la teneur en poussière relevée est plus de 50 fois supérieure aux normes fixées. "La teneur en dioxine [un composé chimique cancérigène, célèbre depuis la catastrophe italienne de Seveso en 1976, Ndlr] représentait 300 à 400 fois le seuil toléré depuis 1997, indique le professeur en toxicologie Jean-François Narbonne. Or la cheminée n’était pourvue d’aucun filtre. Cela a entraîné la contamination des cultures alentours... Les gens mangeaient donc des produits infectés par des polluants dignes d’une décharge de catégorie A. Sans compter la pollution des sols et des rivières par le mâchefer (matériaux incombustibles collectés en fin de combustion) et les métaux lourds."
Juger les "vrais coupables"
Président du Comité interministériel sur les dioxines à l’époque de l’action contre l’incinérateur de Fumel, le professeur Narbonne témoignera au procès d’Agen, contrairement à Robert Carnejac, président de 1986 à 2001 du syndicat intercommunal des eaux de la Lémance. Le maire de la commune de Cujorn décline toute responsabilité dans cette affaire : "A l’époque, on ignorait que la dioxine était aussi dangereuse. Et puis aucun arrêté ne nous a imposé de respecter les normes."
Jean-François Narbonne rappelle que la France s’est longtemps opposée à toute norme européenne sur la dioxine. Il faudra attendre la circulaire Lepage en 1997 pour que la situation évolue. "Le cas des incinérateurs illustre l’incapacité des administrations à traiter les risques industriels", souligne le toxicologue.
Ulcérés par les lenteurs bureaucratiques, Gérard Cariat et ses amis ont choisi d’agir eux-mêmes, quitte à enfreindre la loi. Avec un succès certain : selon le syndicat intercommunal, le geste des militants aurait empêché l’usine de redémarrer. Une accusation que rejettent les auteurs de l’action : "L’arrêt de l’usine n’est pas du à notre action : sa réactivation demandait une remise aux normes qui n’a pas été effectuée", explique Gérard Cariat, qui rappelle qu’un arrêté préfectoral de novembre 1999 a ordonné la fermeture du site.
Juger les "vrais coupables" reste l’objectif du comité de soutien aux inculpés. Déposée en décembre 1999, une plainte contre X, avec constitution de partie civile n’a toujours pas donné de résultat. En attendant, les inculpés de Fumel veulent faire du procès d’Agen une tribune contre l’incinération des ordures ménagères et ses conséquences sanitaires.