À l’occasion d’un colloque, Catherine Tasca a reproché au CSA d’avoir outrepassé son rôle en autorisant la pub télé aux sites web des secteurs interdits. Mais si la prochaine décision du Conseil d’...tat contredisait le CSA, les cyber-sociétés françaises pourraient en souffrir.
C’est pour cela que Lionel Jospin l’a nommée à la Culture : Catherine Tasca connaît son sujet et, en matière de politique, elle a du métier. Silencieuse depuis la décision du CSA d’autoriser la pub télévisée pour les sites Web d’entreprises des secteurs interdits - édition, cinéma, grande distribution, presse - la ministre de la Culture devait reprendre les choses en mains. En début de semaine, elle a pris violemment position contre l’initiative du CSA et de son président, Hervé Bourges.
Concertation approfondie
Première semonce dans une interview publiée dans le Figaro du lundi 29 mai. La Ministre se demande ainsi si le CSA n’a pas excédé son pouvoir d’interprétation, en modifiant la portée du décret du 27 mars 1992, face à l’émergence d’un nouveau secteur économique : Internet. Sous-entendu : Hervé Bourges doit savoir que la modification d’un décret est du ressort gouvernemental. S’il a voulu doubler Trautmann, Tasca, elle, ne se laissera pas faire. Et la Ministre de préciser sa pensée : "Le CSA est tout à fait habilité à faire évoluer telle ou telle des interdictions existantes, mais cela doit être fait par la voie réglementaire et après une concertation approfondie."
Le lendemain, lors d’un colloque "Publicité et Net économie" organisé par le député Patrick Bloche, l’attaque s’est faite plus précise. "On peut déplorer, a-t-elle martelé, que la concertation n’ait pas été suffisamment menée avant la publication du premier communiqué du CSA. Certes. J’en ai parlé très ouvertement avec le président Hervé Bourges (...). Le Conseil a décidé de retarder l’application de sa décision au mois de septembre prochain. Je crois que c’est une bonne chose. Cela donne du temps pour réfléchir et pour travailler." Avant de décider, il fallait consulter, méthode Jospin oblige. Et elle souligne que si les revenus publicitaires ont connu "en 1999 une croissance de 353 % pour atteindre 516 millions de francs", encore faut-il "savoir raison garder" car "cela ne représente encore que 0,61% des dépenses de publicité dans notre pays". Traduisez : était-il nécessaire, Monsieur Bourges, de précipiter les choses ? Après tout, dit en substance la Ministre, l’avenir de l’économie nationale n’est pas - encore - engagé.
Redéfinition de compétence
Lors du colloque, Catherine Tasca a rappelé que le décret de 1992 visait, notamment au nom de la diversité culturelle, à protéger les petits contre les gros, et avait été pensé dans ce sens. Le remettre en cause en trois coups de cuiller à pot est particulièrement malvenu. Et de conclure : "Sur cette question d’accès à la publicité télévisée, je prendrai mes responsabilités. (...) Si la question qui nous est posée relève bien d’une réponse de nature réglementaire, nous agirons sur le plan réglementaire. Si le décret qui est actuellement en vigueur n’est plus entièrement adapté, nous travaillerons à le modifier. J’ai d’ailleurs invité le président du CSA à me faire des propositions en ce sens." Voilà ce qu’il s’appelle procéder à une redéfinition de compétences.
La Net économie à pas de loup
Cette guéguerre entre le CSA et le gouvernement a peu passionné les acteurs de la nouvelle économie. Selon certains, une décision du Conseil d’...tat infirmant celle du CSA risque d’être tout simplement catastrophique. Quant au discours de la Ministre, ils le jugent "irréaliste et moyenâgeux". "En gros, s’emporte le PDG d’un site de vente en ligne présent au colloque, Tasca nous explique que le marché de l’e-pub n’est pas encore assez juteux pour justifier la décision du CSA. Or, de 500 millions en 1999, les revenus publicitaires vont passer à un milliard cette année pour quintupler l’année suivante. Que faudra-t-il au gouvernement pour admettre que la Net économie avance à pas de loup ? Que les Américains nous passent définitivement devant ?"
Jacques Bille, délégué général de l’Association des agences conseils en communication (AACC) se montre plus clair encore : "Pourquoi amazon.com serait moins gêné sur notre marché que fnac.com ? En France, dès qu’un site veut promouvoir son activité, ce qui est banal, on l’en empêche ! Il ne faut pas oublier qu’Internet est un marché européen et mondial. La France doit aller de l’avant. Il ne faut pas rater la marche, sinon on risque de dégringoler." Le gouffre numérique que Lionel Jospin redoute tant pour la France ne serait-il pas aujourd’hui entre ceux qui font la nouvelle économie, et ceux qui sont censés l’encadrer ?