"Le Sénat a durci les conditions d’exploitation des réseaux par les collectivités" [Patrick Vuitton]
Pour l’Avicam, la LEN creuse la fracture numérique entre zones urbaines et rurales
Le 25 juin 2003, le Sénat a adopté le projet de loi sur la confiance dans l’Economie numérique (LEN). Parmi les modifications qu’ils ont apportées à ce texte (qui doit à nouveau passer devant l’Assemblée Nationale), les sénateurs ont changé certains paragraphes concernant le rôle des collectivités locales dans la mise en place de réseaux de télécommunications locaux.
Ces modifications contribuent à alourdir les procédures nécéssaires à la construction et à l’exploitation des réseaux par les collectivités territoriales. Un problème souvent crucial dans les zones rurales peu peuplées, que les opérateurs privés refusent souvent de couvrir parce qu’elles ne sont pas assez rentables.
Pour l’Avicam, l’Association des villes pour le câble et le multimédia, il s’agit d’un retour en arrière par rapport au texte voté de l’Assemblée nationale en mars dernier et aux promesses faites par le gouvernement Raffarin en décembre 2002. Patrick Vuitton, délégué général de cette association qui regroupe 100 collectivités territoriales présentes dans 53 départements, réagit à la nouvelle version de cette loi, censée réduire la fracture numérique.
En quoi les modifications apportées par les sénateurs à la LEN rendent-elles plus difficiles la mise en place de réseaux locaux par les collectivités territoriales ?
Aujourd’hui, il n’y pas besoin de "constater" une insuffisance d’initiatives privées pour qu’une collectivité locale puisse exploiter un réseau haut débit. Certaines collectivités ont d’ailleurs mis en place de tels réseaux, en reliant par exemple des universités entre elles. Si le texte tel qu’il a été modifié par le Sénat est accepté, cela sera plus difficile, car il faut "constater" l’insuffisance, ce qui suppose de recenser et d’étudier les offres des opérateurs privés avant de procéder à la mise en place de ces réseaux.
Que signifie l’expression "constater l’insuffisance d’initiatives privées pour devenir opérateur", mentionnée à l’article 1er-A ? Comment les collectivités peuvent-elles prouver une telle insuffisance ?
Je ne sais pas. La première version du texte, présentée devant l’Assemblée Nationale, demandait qu’il y ait "consultation" : les collectivités locales pouvaient demander aux opérateurs locaux ou nationaux s’ils disposaient d’une offre sur le territoire qu’elles souhaitaient couvrir. En cas de non réponse, les collectivités pouvaient devenir opérateurs elles-mêmes. Le Sénat a remplacé le terme "consultation" par "constat", mais aucun texte ne précise ce qu’est un constat. Ce sera donc au juge d’apprécier si le constat établi par la collectivité locale est viable ou pas.
Les juges sont-ils en mesure d’évaluer ce genre de carence ?
Ce n’est pas évident. En 1998, France Télécom a gagné un procès contre la Communauté urbaine de Nancy, qui avait mis en place un réseau haut débit. L’opérateur reprochait à la commmunauté urbaine de ne pas avoir pris son offre en compte. Les juges ont estimé que cette offre existait bien, puisque France Télécom proposait déjà "une offre téléphonique" sur ce territoire...
Est-ce que le Sénat a fait des modifications du texte positives pour les collectivités locales ?
Le texte est devenu plus clair sur certains points. Sur la capacité, pour les collectivités locales, d’agir sur les réseaux câblés par exemple. Mais il s’agit en l’occurence de clarifier une situation existante. Le texte est également plus clair sur le rôle de l’ART, qui doit être consultée lorsqu’une collectivité locale souhaite devenir opérateur. Mais ces deux points présentent bien moins d’importance que les paragraphes concernant les conditions d’exploitation des réseaux : le gouvernement voulait les assouplir, les sénateurs les ont durcies.
Dans les régions rurales, on parle surtout des difficultés d’accès au haut débit pour les particuliers. Les problèmes sont-ils aujourd’hui réglés pour les entreprises ?
Non, il y des zones en France qui ne sont toujours pas couvertes par l’ADSL. Certaines entreprises paieraient quatre fois moins cher leur facture de téléphone si elles disposaient de l’ADSL. Ces entreprises ne peuvent pas se tourner vers les opérateurs privés, qui refusent de desservir des zones qui ne sont pas assez rentables pour eux. Elles demandent donc aux collectivités locales de leur fournir des solutions, car ce sont les seules instances qui peuvent les aider.
Le site de l’Avicam:
http://www.avicam.org
Le projet de loi sur la confiance dans l’Economie numérique (Sénat):
http://ameli.senat.fr/publication_p...