Olivier Ezratty, directeur du marketing et de la communication de Microsoft France, s’attend à une sentence négative de la part du juge Jackson. Et mise désormais sur la clémence de la cour d’appel, voire de la cour suprême.
Transfert : Le juge Jackson a interrompu les derniers débats en demandant aux avocats du ministère de la Justice de remettre un plan de dissolution au plus vite. Microsoft n’aura que 48 heures pour se retourner. Qu’en pensez-vous ?
Olivier Ezratty : Le juge Jackson avait annoncé dès le début du procès qu’il souhaitait hâter les choses. Il est conscient que le monde informatique change très vite. Cela étant, le remède proposé par le département de la Justice est extrême, on ne démantèle pas une société comme ça... Microsoft a souhaité obtenir un délai supplémentaire pour montrer que c’était une solution qui n’avait pas lieu d’être dans le cadre du procès. Nous avons proposé de faire témoigner 16 personnes, dont Bill Gates et une bonne demi-douzaine d’économistes renommés américains, pour expliquer que le démantèlement de Microsoft ne se justifie pas au regard des précédents procès antitrust.
Mais le juge Jackson ne se montre pas très ouvert à ces propositions...
Cela ne nous surprend pas beaucoup. Depuis trois ans qu’il gère le dossier Microsoft, le juge Jackson a toujours pris le parti de l’accusation. Je n’irai pas jusqu’à parler de partialité, mais on n’en est pas loin. Il a systématiquement repris les thèses de l’accusation, mais jamais les éléments qui pouvaient nous concerner. Prenons la soi-disant illégalité de l’intégration d’Internet dans Windows. Quand on regarde la chronologie du Web, on constate qu’IBM a sorti un système d’exploitation appelé OS2 Warp 3.0 en octobre 94, un mois avant que Netscape ne soit créé. Or, ce système d’exploitation possédait déjà un navigateur intégré. Il est intéressant de noter qu’un concurrent de Microsoft avait déjà fait ce genre de chose sans que cela ait été jugé illégal.
Quelle est la position de Microsoft aujourd’hui ?
Après quatre mois de négociations, nous avons constaté qu’il était difficile de trouver un compromis tant les deux parties affichaient des positions éloignées. La justice américaine demande le démantèlement de Microsoft, je ne connais pas beaucoup de sociétés qui donneraient spontanément leur accord. La réorganisation par un gouvernement quelconque d’une société dont le capital est essentiellement intellectuel, c’est inédit. On ne peut pas accepter ce genre de choses.
Qu’envisagez-vous ?
Le juge va probablement émettre une sentence négative à notre égard, peut être dès la semaine prochaine. La stratégie de Microsoft est de faire appel. Nous pensons qu’à ce stade nous aurons un dossier qui tient la route : le juge Jackson a de lui-même écrit que son jugement était contradictoire avec un jugement précédent de la cour d’appel. Cela nous laisse des chances.
Lorsque le juge Jackson déclare qu’il tient à accélérer la procédure quitte à convoquer immédiatement la cour suprême, pensez-vous que c’est un avantage ?
La vraie question est : est-ce que le respect de la loi et des procédures judiciaires peuvent être conservés dans de telles circonstances ? Aux ...tats-Unis, le processus judiciaire impose un traitement en cour d’appel lorsque le procès est complexe. Il y a donc très peu de chances pour que ce procès d’une telle complexité passe directement devant la cour suprême. Par ailleurs, dans l’histoire de l’antitrust américain, les cours d’appel et la cour suprême ont toujours atténué les décisions des cours de première instance.
Il ne peut donc y avoir de sanction immédiate ?
C’est un peu plus compliqué : un juge peut émettre une sentence dont certains éléments sont exécutoires immédiatement et dont d’autres peuvent être soumis à un appel. Si le juge Jackson nous impose un remède comportemental [l’interdiction de vendre dorénavant Windows avec Internet Explorer, par exemple, NDLR], il peut en demander l’application immédiate. S’il s’agit d’une mesure structurelle [scission de Microsoft, NDLR], cela peut donner lieu à un appel.
Mais la bataille juridique ne fait que commencer...
Ça va certainement durer encore un ou deux ans. Et contrairement à ce que j’entends, cela ne nous satisfait pas. Il faut se mettre à notre place : nous sommes une société de 37 000 personnes, nous avons envie de travailler sans avoir une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête.