Après avoir vanté les bienfaits de l’autorégulation pour protéger la vie privée des internautes, la Commission Fédérale du Commerce (FTC) change son fusil d’épaule et exhorte le Congrès à voter une loi. Qui a peu de chances de voir le jour…
"L’autorégulation seule n’a pas protégé de façon adéquate la vie privée des consommateurs en ligne. En conséquence, une législation est désormais nécessaire pour compléter les efforts d’autorégulation et garantir les protections élémentaires du consommateur." La principale conclusion du rapport rendu public lundi 22 mai par la Commission fédérale du commerce (FTC) a résonné comme un coup de tonnerre dans le monde surinformé et peu régulé de la nouvelle économie américaine.
FTC, CNIL même combat
Après avoir toujours soutenu qu’une loi ne servirait pas à grand-chose en matière de respect de la vie privée sur Internet, la FTC fait machine arrière. Motif : une enquête qu’elle a réalisée auprès de 335 sites commerciaux montre qu’à peine 20 % d’entre eux appliquent les principes de respect de la vie privée, chaudement recommandés par la FTC... depuis 1998.
Parmi les 100 sites les plus populaires outre-Atlantique, la FTC observe avec effroi que la moitié d’entre eux ne jouent pas le jeu. La Commission ne devait pourtant pas tomber des nues : il y a deux ans, elle notait déjà que si 90 % des sites de vente en ligne collectaient des informations personnelles fournies par leurs visiteurs, 14 % seulement prenaient la peine d’en avertir ces derniers…
Elle n’était pas non plus sans savoir que la Commission de l’informatique et des libertés (CNIL) a rendu le mois dernier — lors de la Conférence européenne des commissaires à la protection des données personnelles qui se tenait à Stockholm — un rapport aux résultats peu engageants. Sur les 100 sites français de commerce électronique les plus visités, la CNIL a certes constaté que "97% des sites qui indiquent céder les informations collectées à des tiers partenaires commerciaux informent les internautes de leur droit de s’y opposer" ; en revanche, "40 % des sites n’indiquent pas clairement l’adresse physique du responsable du site, et 81 % des sites ne donnent aucune information de l’usage qui peut être fait des cookies".
Clinton pas très chaud
Les cris d’alarme de la FTC ont fait se gausser nombre de ses détracteurs, à l’instar de l’Association américaine de la technologie de l’information (ITAA) qui ne veut pas entendre parler d’une intervention législative, qu’elle juge inutile et dangereuse. De leur côté, les Républicains — majoritaires au Congrès — ont réagi plus que mollement aux exhortations de la Commission. Quant à l’administration Clinton, elle a gentiment fait comprendre, par l’intermédiaire d’un porte-parole de la Maison-Blanche, qu’il valait mieux que les sites commerciaux règlent les problèmes d’atteinte à la vie privée… eux-mêmes !
Nul n’étant prophète en son Web, la FTC a trouvé un écho très favorable en Europe. Comme s’en réjouit Jean-Christophe Le Toquin, délégué permanent de l’Association française des fournisseurs d’accès et de services Internet (AFA), "avec ce rapport, les Américains viennent de prendre conscience de la nécessité de réguler le Réseau. Mais ils devront aller plus loin. Car en l’absence de législation fédérale, ce sont tous les secteurs de l’économie traditionnelle qui souffrent d’un manque de règles quant à la protection de la vie privée".
"Il faut abandonner l’idée que l’on pourra, ici comme aux ...tats-Unis, contrôler à 100 % les marketeurs en ligne, précise pour sa part Olivier Iteanu, avocat à la cour d’appel de Paris et spécialiste des nouvelles technologies de l’information, la collecte de données privées étant pour beaucoup d’entre eux une raison d’être. Il faut donc réguler dans l’intérêt du Réseau, et les ...tats-Unis pourraient très bien s’inspirer de la réflexion et des avancées législatives de l’Europe en ce domaine." Question : Oncle Sam en a-t-il seulement envie ?
Le rapport de la FTC et les résultats détaillés de son enquête sont disponibles sur le site de la commission:
http://www.ftc.gov/