De février 1998 à mars 1999, cette Albanaise de 57 ans a rédigé une chronique de guerre en ligne en anglais, depuis Pristina.
On peut la lire dans le livre Le journal d’une femme au Kosovo. Elle aide à présent les Kosovares à sortir de l’isolement. Avec, aujourd’hui comme hier, la même arme : le Réseau des réseaux. (Partie 2)
Collaboratrice du TPI
Elle a supplié ses deux grands fils, 31 et 35 ans, de « ne pas aller se battre dans les montagnes ». « Mes arguments étaient simples : on va vous donner une arme. Et après ? Vous aurez le choix entre la vie et la mort. » En argumentant : « Moi, avec ce journal, je shoote 1 300 balles tous les jours, en une seconde. Et je suis sûre qu’elles atteignent toutes leurs cibles... » Les mains jointes, pointées, vers un écran, elle mime, joyeusement, le plongeon des textes dans un ordinateur. « Avant, le Kosovo était comme une île perdue dans l’océan. Pour moi, l’Internet, c’est un miracle. » Elle lui doit sans doute la vie. Elle l’a découvert en 1995, à l’occasion d’une rencontre avec une Américaine du Fonds de développement des Nations unies pour les femmes (United Nations Development Fund for Women), venue parler de Women Watch : un espace Internet militant destiné aux féministes internationales, soutenu par l’Organisation des Nations unies (Onu).
« À l’époque, au Kosovo, il n’existait pas d’opérateurs commerciaux pour naviguer sur le Web, nous avions juste accès à Zana.pr, un réseau militant qui reliait une vingtaine d’ordinateurs dans la région », se remémore-t-elle, comme pour mesurer le chemin parcouru. Zana (nom d’une fée légendaire protectrice) est petit frère de ZaMir (pour la paix), un réseau électronique développé en 1992 par l’ONG internationale pour la Yougoslavie, Association for Progressive Communication (APC). Il est destiné - comme tous les réseaux parallèles développés par l’association dans le monde - aux journalistes indépendants et aux organisations humanitaires souhaitant communiquer et travailler pour la paix.
Sevdije n’ira pas témoigner au Tribunal pénal international (TPI) de l’Onu qui juge, à La Haye, l’ex-tyran Milosevic : « Je n’ai plus rien à dire. Aujourd’hui, ce sont les victimes qui comptent », lâche-t-elle. « Je n’ai pas écrit ce journal dans un but particulier. Je devais l’écrire, c’est tout. Je n’aurais jamais imaginé le publier dans un livre. Maintenant qu’il y a une version Italienne Voce del Kosovo et française, je voudrais le rédiger dans sa version complète, en anglais et en Albanais. Pour mon peuple », précise-t-elle. Mais les versions publiées représentent seulement 60 % de ses textes : toutes les réponses de ses interlocuteurs, ont disparu avec son ordinateur...
A l’été 2000, Carla del Ponte, procureur général du TPI, a rencontré Sevdije dans son centre de Pristina. Dans l’entretien avec ses traducteurs, qui introduit son livre, Sevdije explique : « Je collabore directement avec le TPI. Quand madame Carla del Ponte est venue, je n’avais pas encore récupéré tout mon journal, seulement une partie... Mais les trois enquêteurs m’ont confié que le procureur général leur avait déjà suggéré de travailler sur ce document. “Grâce à vous, nous avons 56 pages de documents avec des noms, des dates, des circonstances de meurtres”, m’ont-ils dit. »
Sevdije a tourné la page. Le Centre de protection des femmes et des enfants, l’association qu’elle a créée, compte aujourd’hui dix structures au Kosovo, dans chaque zone touchée par la guerre. « Pendant le régime d’apartheid, et surtout durant la guerre, les forces de la tradition et de la police se sont en quelque sorte conjuguées, les femmes sont devenues de plus en plus vulnérables, leur vie était en jeu... C’est pour ça que j’ai voulu me consacrer à cette cause. »
À Pristina, Sevdije Ahmeti vient d’ouvrir un centre Internet gratuit, uniquement réservé aux femmes et aux jeunes filles. Pour les aider à vaincre l’isolement, elle les forme à l’informatique et leur fait découvrir le Web. Sans relâche, elle explique, détaille, convainc : « C’est encore très difficile de sortir du Kosovo, et nous n’avons pas d’ambassades. Avec le Net, les femmes et les filles ont accès au monde en un seul clic. Architectes, médecins, étudiantes viennent au centre pour consulter des documents auxquels elles n’auraient pas accès dans les bibliothèques. » À travers la fenêtre de l’ordinateur, elles entrevoient l’avenir. « C’était mon but : je l’ai atteint. Je suis
heureuse. »
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Le livre
Article paru dans Transfert Magazine n°23
Le site du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD)
http://www.ccfd.asso.fr/actualite/b...
Le site de Network of East-West Women
http://www.neww.org