Le gouvernement français a financé un programme de recherche scientifique dédié à l’évaluation des risques des mobiles sur la santé. Les résultats sont contrastés et controversés. Mais pas vraiment rassurants.
Les téléphones portables sont-ils dangereux pour la santé ? Pas facile de le savoir. Les experts eux-mêmes ne sont pas d’accord entre eux, et les études réalisées dans ce domaine se suivent et ne se ressemblent pas. Etats-Unis, Angleterre, Suède, Italie, Espagne, Russie... : de nombreux pays suivent avec attention l’impact de ces nouveaux appareils. Mais chaque étude semble donner des résultats qui contredisent les précédents. Alors que certains spécialistes affirment que leurs travaux ne permettent pas de conclure à un danger pour l’homme, d’autres se montrent résolument alarmistes. Qui croire ?
Parmi tous les travaux rédigés sur ce délicat sujet, le plus connu est sans doute le rapport Stewart. Rédigé à la demande du gouvernement britannique, cette étude rendue publique à la fin de l’année 2000 faisait état de transformations infimes de l’activité cérébrale, affectant notamment la mémoire et l’apprentissage chez les rongeurs. Les experts anglais avaient aussi constaté des effets sur l’œil suite à des expositions de radiofréquences de forte intensité. Ils avaient cependant conclu que l’usage des téléphones mobiles n’exposait pas la population anglaise à un risque. Prudent, le ministère britannique de la Santé avait toutefois réagi à ce rapport en recommandant aux adultes de limiter la durée de leurs conversations téléphoniques et, aux enfants de moins de 16 ans, de n’utiliser les téléphones portables qu’en cas d’urgence.
En France, plusieurs travaux ont déjà été menés. Tous conduisent à des résultats similaires. Le rapport de l’Académie des sciences d’avril 2000 concluait à la mise en évidence de nombreuses modifications biologiques dues à l’usage des GSM, sans qu’il soit possible d’établir un lien entre ces changements et leur incidence sur la santé. En janvier 2001, le docteur Zmirou rendait à la Direction générale de
la santé son rapport sur « les mobiles, leurs stations de base et la santé ». Une grande partie de cette étude reposait sur l’analyse des principaux travaux scientifiques internationaux portant sur les effets potentiellement nocifs des mobiles. Dans leurs conclusions, les auteurs notaient : « Lors de l’exposition aux radiofréquences d’un mobile, les données scientifiques indiquent de manière peu contestable l’existence d’effets biologiques variés. (...) Cependant, en l’état actuel des connaissances (...), il n’est pas possible de dire aujourd’hui qu’ils représentent des menaces pour la santé. »
Les auteurs de la récente étude française, intitulée Comobio (communication mobile et biologie), ont publié récemment leurs résultats. Destinée à évaluer les effets sanitaires potentiels des téléphones mobiles, elle s’est achevée à la fin de l’année 2001. Et, pour obtenir le maximum d’indépendance, cette étude était financée non pas par les opérateurs ou les fabricants de mobiles, mais par les ministères de la Recherche et de l’Industrie, auxquels étaient associés des chercheurs de tous horizons : Alcatel, Bouygues Telecom, Cegetel, les Ecoles nationales supérieures des télécommunications (ENST) de Paris et de Brest, France Telecom, l’Institut des relations publiques et de la communication (Ircom) de Limoges, Sagem, Supélec et les universités de Bordeaux, Marseille, Nîmes, Orsay et Rennes. Une belle brochette pour, espérait-on, enfin savoir. Or, une fois de plus, les avis des scientifiques divergent : si plusieurs chercheurs n’ont observé aucun effet biologique du aux radiofréquences, d’autres ont toutefois noté des modifications au niveau du cerveau. En clair, le cerveau des rats exposés aux ondes des téléphones portables se modifie sous l’effet de ces radiofréquences. Pourtant, on ne connaît pas le lien de ces changements sur la santé, même si les chercheurs entrevoient des pistes (l’un des participants de Comobio suppose, par exemple, l’existence d’un lien entre l’utilisation d’un portable et l’apparition de migraines). Alors quel intérêt présente ce rapport, si ses conclusions ne font que conforter celles des études précédentes ?
L’industrie juge et partie
Comobio est la première étude financée entièrement par l’Etat. Selon Bernard Veyret, chercheur à l’université de Bordeaux et responsable du projet, seule l’Italie mène aussi actuellement un programme de recherche entièrement subventionné par le gouvernement. Question : l’origine des fonds constitue-t-elle un gage d’indépendance des chercheurs vis-à-vis des opérateurs et des fabricants de mobiles ? Pas facile de se faire une opinion. Les universitaires qui ont participé à Comobio, et dont nous présentons les résultats, se déclarent tous, bien sûr, « complètement indépendants ». Ils affirment n’avoir subi aucune pression lors des recherches ou au moment de la publication des résultats. « Chaque fois qu’on devait présenter nos travaux à un congrès ou écrire un article, on soumettait notre texte au comité de pilotage de Comobio, auquel participaient des gens de France Telecom, explique Jean-Marc Edeline. Mais ils n’ont jamais fait de changement sur le fond, ils ont seulement corrigé des erreurs de style. » Une liberté d’action qui existe quel que soit le mode de financement des recherches, selon Berard Veyret. « En France, la recherche universitaire est, de toute façon, financée pour un tiers par les industriels, note le chercheur. Le fait que le programme Comobio soit entièrement financé par le gouvernement ne change rien aux résultats, même si c’est une bonne chose pour l’opinion publique et les médias. »
Un avis que ne partage pas Madeleine Bastide, une universitaire qui s’est elle aussi penchée sur les problèmes des radiofréquences émises par les mobiles (voir encadré p. 79). « D’après vous, qui finance l’équipement des laboratoires de recherche ? J’ai travaillé une fois avec un industriel : il a refusé de publier mes résultats. à partir du moment où France Telecom fait partie du comité de pilotage de Comobio, comment parler d’indépendance ? », s’emporte-t-elle. Comment, a contrario, obtenir des preuves de sujétion ?
Doit-on accorder du crédit aux résultats de Comobio ? Quels que soient l’indépendance des chercheurs et le sérieux de leurs travaux, il faut de toute façon tenir compte de leurs propres remarques quant aux limites de ce type d’étude. Les scientifiques soulignent en effet la nécessité de poursuivre ces recherches (ce qui sera fait, puisque Comobio 2 est en préparation) avec des doses d’émission d’ondes différentes et des temps d’exposition aux radiofréquences plus longs. D’autre part, l’extrapolation des résultats du rat à l’homme appelle la prudence : comme la tête du rat est bien plus petite que celle de l’homme, l’irrigation des tissus ne s’effectue pas de la même façon dans les deux cas.
Inquiétants, les résultats de Comobio ? Pas follement rassurants, en tout cas. Alors, en attendant de connaître l’effet exact des modifications relevées par les chercheurs, il est sans doute préférable de prendre quelques précautions. « Il faut informer les gens afin de ne pas voir se reproduire les scandales de la vache folle ou du sang contaminé », précise Pierre Aubineau, un des chercheurs de Comobio. Il y a peut être un lien entre les migraines et les longues conversations téléphoniques. Dans le doute, il faut limiter la durée des conversations téléphoniques, contrôler les conditions de réception des appels (téléphoner uniquement quand toutes les barres s’affichent sur l’écran des mobiles) et éviter que les enfants se servent trop souvent des téléphones portables. « Des précautions qui, comme le note Madeleine Bastide, relèvent autant du bon sens que des recommandations scientifiques ! »
in Transfert Magazine n°23