Comment croire à l’avenir d’un Réseau dépourvu de toute stratégie culturelle ? L’Internet culturel marchand demeure l’une des locomotives de l’e-commerce et les grandes institutions de la culture s’y montrent actives. Laurent Sorbier, coordinateur du Réseau de l’Internet culturel (nouveau nom de Silicon Culture), invite les différents partenaires à associer leurs expériences.
Laurent Sorbier est coordinateur du RIC
(www.sorbier.net)
Nul ne doute plus aujourd’hui, on l’espère, de l’importance d’une présence culturelle francophone riche, diverse et de qualité sur l’Internet. Nombre de nos concitoyens et de personnalités du monde culturel sont convaincues qu’il s’agit d’un enjeu croissant pour le rayonnement, la diffusion et la démocratisation de notre culture, en France comme à l’étranger. Les pouvoirs publics, sans toujours se donner les moyens de cette ambition, ont officialisé la vocation de l’Internet à devenir l’un des supports et l’une des dimensions de la politique culturelle française.
Serait-il pensable, en effet, que la culture ne trouve pas sa place sur l’Internet dans un monde où l’accès à la culture passe, pour les jeunes, de plus en plus par l’écran, où la découverte des chefs-d’œuvre de la musique ou des arts plastiques se fait souvent par le biais de leur reproduction numérisée (MP3, sites des musées...), où l’Internet joue un rôle plus grand dans le quotidien de millions de Français ?
Non au « tout gratuit »
Sans doute pouvons-nous nous féliciter que l’Internet soit déjà un important canal de diffusion des produits culturels, le disque et le livre comptant parmi les produits les plus achetés via le Réseau des réseaux. N’oublions pas que quelques-unes des plus belles réussites de l’Internet marchand sont liées à cet appétit de nos concitoyens pour la consommation de culture, sous toutes formes ! Et nous pouvons aussi nous réjouir des efforts de nos artistes pour s’approprier ce territoire de création, comme de la richesse de l’offre culturelle actuellement à notre disposition en langue française sur l’Internet. Le lancement, il y a quelques semaines du Réseau de l’Internet culturel (RIC), à l’initiative de l’association Silicon Sentier, a été l’occasion de rappeler que l’Internet culturel français pouvait se targuer de réelles réussites : comme en témoigne, l’audience de certains sites culturels éditoriaux, le public est bien au rendez-vous ; plusieurs projets d’initiative privée ont prouvé leur viabilité, l’Internet culturel marchand restant l’une des locomotives de l’e-commerce ; la quasi-totalité des grandes institutions culturelles sont désormais présentes et actives sur le Web...
Mais cette diversité et cette richesse de l’Internet culturel français restent fragiles. Ce regroupement des acteurs de l’Internet culturel intervient aussi au moment où il traverse une phase difficile et une crise d’identité, marquée par un questionnement sur la viabilité de ses modèles économiques et la disparition de certains de ses acteurs.
Les réunions du RIC ont été l’occasion de rappeler que les modèles économiques étaient, malgré le succès de plusieurs projets, encore loin d’être stabilisés : la culture du « tout gratuit » encore très présente sur l’Internet, la difficulté à définir une véritable valeur ajoutée par rapport aux contenus papier, la mise en place trop progressive de systèmes de rémunération nouveaux et adaptés à l’économie du Web, la défiance des investisseurs à l’égard de ce secteur, le soutien insuffisant des pouvoirs publics et de mécènes éventuels ou encore l’inadaptation de l’environnement fiscal et réglementaire sont autant de facteurs qui pénalisent le développement de ce secteur et expliquent que nombre de sites éditoriaux de qualité aient pu disparaître du Web français ces derniers mois. Tendance qui, si elle se vérifiait et s’aggravait, mettrait en péril la pluralité de l’offre culturelle, sa diversité et sa qualité. Est-il souhaitable que seuls quelques grands groupes et une poignée de grandes institutions - si on continue de leur en donner les moyens ! - assurent la présence (et la diffusion) de notre culture ?
Portés par des passionnés, nombre de projets continuent pourtant de se développer et de contribuer à assurer la place qu’elle mérite à la culture française sur Internet. C’est pour leur permettre de jouer pleinement ce rôle, aux côtés de ténors de l’Internet marchand qui ont aussi vocation à le rejoindre, que le RIC se propose de définir les réponses appropriées aux problèmes identifiés par ses membres et de militer en faveur des évolutions que les professionnels de ce secteur jugent nécessaires. Acteurs publics, associations et entreprises impliquées dans l’édition de contenus culturels ou la vente de biens culturels sur Internet vont, pour la première fois, pouvoir mettre en commun leurs expériences et disposer d’un lieu de dialogue - une condition pour construire un discours commun, ce réseau devant constituer à terme un interlocuteur représentatif et capable de défendre leurs intérêts.
On ne peut que souhaiter que l’action du RIC permette de faire mieux comprendre et mesurer l’importance citoyenne, politique et économique qu’il y a à faire vivre la culture sur l’Internet : comme support de création, comme lieu de diffusion marchande des œuvres, de formation et d’information sur les pratiques et l’offre culturelles, l’Internet doit rester un carrefour vivant et pluriel de toutes les cultures.
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