Le parlementaire européen Michel Rocard s’est découvert une vocation d’entrepreneur en capital-risque, au profit de l’Afrique. Il a créé pour cela une entreprise et un portail Internet.
Michel Rocard l’affirme : "Implicitement, on admet que la croissance suffira à éradiquer la pauvreté. Je le nie. Il n’y a pas de croissance sans aggravation des inégalités." Dans la foulée, l’ancien Premier ministre des années Mitterrand : " Je suis moi-même l’héritier d’un grand courant historique, le socialisme, qui a cru à ce principe. Or le socialisme n’a pas éradiqué la pauvreté, il a juste réussi à empêcher la croissance..."
Ce n’est pas un suicide politique en direct, mais ça y ressemble. Michel Rocard a fait son petit effet au congrès "mondial" de la Net économie, le 29 mars. Intervenant en compagnie de Jacques Attali (entre autres) pour parler sur le thème "Internet et développement", il s’est présenté sous son nouveau visage d’entrepreneur, voire de capital-risqueur.
Un portail et une société à but lucratif
Afrique Initiatives, son entreprise basée à Bruxelles, a été créée en juin 1999. Jusqu’ici elle n’avait pas fait de publicité, préférant garnir au préalable son carnet de commandes. Puisqu’il s’agit d’une société de capital-risque, elle a commencé par dénicher quelques projets d’entreprises à financer dans les pays africains. Du paquet de farine enrichie pour nourrissons, au bidon "innovant" pour le transport de l’eau, la liste des bonnes idées qui ne demandent que de l’argent pour trouver une application est longue.
Afrique Initiatives prend le parti de faire du business dans une zone géographique habituellement abandonnée au secteur humanitaire, et à la charité organisée par ceux-là même qui sont la source du déséquilibre des échanges Nord-Sud : les mécènes d’entreprise. La première action de la boîte de Rocard a consisté dans l’ouverture d’un portail de l’Afrique, Africa
21 (pour XXIe siècle). Ce site répertorie une sélection de ressources informatives, pratiques, culturelles, et met en valeur les initiatives économiques locales.
La révolution du capital-risque va-t-elle toucher l’Afrique ?
La petite équipe (4 permanents, un stagiaire, épaulés par le réseau des actionnaires tels Vivendi, Bolloré, EDF...) s’est donné pour objectif de contribuer au développement du continent africain par le privé, et en gagnant de l’argent. Elle cible les PME et les TPE, à l’instar de l’association géante de Jacques Attali, PlanetFinance. Cependant, elle n’attribue pas de micro-crédits comme cette dernière. C’est à l’étape suivante qu’elle intervient, pour des projets nécessitant plus d’argent - de 500 000 à 5 millions de francs français.
On peut donc parler de capital-développement, voire de capital-risque lorsque le projet est en phase d’amorçage. "Soit nous accompagnons le montage et le financement d’opérations pilotes, soit nous investissons en fonds propres", détaille Pierre Carpentier, chef de projet. Cela reste, de toute façon, des projets "non-bancables", dédaignés par les banques qui ne prêtent qu’aux riches.
Saint-Louis du Sénégal, ville numérique
Premier test : l’opération SaintLouis@Net, projet présenté par des entrepreneurs de la ville de Saint-Louis du Sénégal porté par Afrique Initiatives. Avec un petit budget d’environ 400 000 F pour la phase de test, les initiateurs sont en train de concevoir une plate-forme Internet de services de proximité. Les habitants de cette agglomération (100 000 personnes avec la banlieue) y trouveront une bourse d’emplois journaliers, du troc, des moyens de localiser les personnes sans téléphone ni adresse fixe, du covoiturage, de la télé-médecine basique ...
Sur ce site, ni commerce électronique, ni paiement en ligne. Beaucoup d’Africains n’ont même pas de compte bancaire, alors un numéro de carte bleue... inutile d’y penser. Il n’y aura pas non plus de publicité. Mais comment ça marche, alors ?
La société réinvente un modèle économique qui a fait ses preuves : elle fait payer les clients du service plutôt que les annonceurs. Et pour cela, elle va faire travailler des médiateurs, véritables colporteurs des temps modernes, qui feront l’interface entre le site Web et la population, explique Pierre Carpentier. "Des commerciaux vont vendre leurs services et encaisser l’argent. Ils feront la pesée des bébés chez leur mère pour le suivi de leur état de santé en télé-médecine. Ils saisiront les demandes de stage. Ils iront sur le marché aux poissons voir s’il y a de la pêche à troquer..."
L’ouverture de ce service de proximité en ligne "à visage humain" est attendue pour la fin mai. À terme, il devrait proposer plus d’une centaine de services différents. Et si Saint-Louis du Sénégal devenait la référence des villes numériques ?