À partir du 16 février, la Cité des Sciences de Paris va vivre la nuit, en ouvrant ses portes à " Poussière d’étoiles ", un spectacle d’un nouveau genre, à mi-chemin entre le reportage scientifique et l’opéra technoïde.
Un "opéra cosmique ", pour chanter la mort d’une étoile...On pouvait s’attendre au pire. Et pourtant, l’équipe de " Poussière d’étoiles " réussit à nous faire décoller. Un an et demi de chantier de nuit et un budget de 25 millions de francs ! La Cité des sciences n’a pas lésiné sur les technologies de pointe. Pour raconter la genèse de l’Univers, le concepteur de spectacles Philippe Corbin, le metteur en scène Stéphane Vérité et la conceptrice d’images Marie-Jeanne Gauthé ont travaillé sur une séquence en images projetée sur une surface de 2400 m2 sous la toiture du hall de la Cité.
Des ingénieurs de l’Institut Géographique National ont grimpé jusqu’à voûte pour la cartographier au plus précis, et permettre la conception de deux toiles amovibles circulaires déployées à quarante-cinq mètres de hauteur. Six “ pigis ”, (appareils capables de projeter des images géantes jusqu’à 250 mètres de distance) et deux projecteurs vidéo couvrent la superficie totale de l’écran, et permettent de superposer plusieurs images, de jouer avec des mouvements d’images différents.
Des photos d’archives de la NASA côtoient des images composées de toutes pièces : " Nous voulions marquer une différence graphique très nette entre la représentation mentale de la " purée initiale ", qui n’est qu’une supposition scientifique, et les véritables images d’étoiles dont nous disposons " explique Philippe Corbin. On ne peut pas s’y tromper : les particules élémentaires incandescentes de la " purée initiale " ressemblent aux balles de lotos colorées qui tourbillonnent dans leurs sphères transparentes... Mais la qualité des images de la galaxie est sidérante. L’astrophysicien Hubert Reeves lui-même, conseiller scientifique du spectacle, avoue ne pas connaître une représentation plus juste du système solaire.
Une petite voix dans l’oreille du spectateur
Côté son, la partition musicale de Nicolas Frize est diffusée par un dispositif acoustique étonnant : il attribue une piste sonore à chacune des sources disséminées dans le bâtiment et ce pour 72 pistes synchrones, individuellement réglées et corrigées. L’ensemble de la spatialisation a été conduite à partir du logiciel Max MSP, depuis une régie déportée mobile dans tout le bâtiment. Par ailleurs, 2000 haut-parleurs ont été disposés dans les 500 sièges utilisés dans l’Acte II, pour permettre la réception optimisée d’une voix plus intime au plus près des spectateurs.
Nicolas Frize pilote le tout du bout d’un stylet sur une palette graphique. Si l’on est parfois frustré de ne pas plus profiter de tout ce dispositif, que le son n’ait pas plus d’ampleur, le musicien explique que c’est parce qu’il ne voulait pas détourner l’attention du public des images. Au départ, la petite voix qui vous parle à l’oreille déstabilisait les spectateurs qui cherchaient d’où elle venait... Aujourd’hui, cette voix est diffusée à 20 % dans le micro du siège et le reste dans tout le hall. Une scène de 2000m2, on avait jamais vu ça à Paris.
Il n’en fallait pas moins pour l’initiateur de ce pari fou, Philippe Corbin. Nommé responsable des spectacles à la Caisse Nationale des Monuments historiques et des sites en 1990, il signe à 34 ans, sa première création avec " Poussière d’étoiles ", l’adaptation de l’ouvrage d’Hubert Reeves. Interview.
Transfert : Il n’y a pas de comédiens dans ce spectacle, alors que vous mettez en scène ?
Alain Corbin : Pour moi, la matière du livre d’Hubert Reeves devait se chanter, j’ai pensé d’emblée à un opéra mais sans comédiens ni chanteurs. Un opéra où l’on s’écarte de toute préoccupation anthropocentrique. Avec Hubert Reeves, nous avons créé un univers peuplé de machines. Nous entraînons le spectateur dans un conte où les héros sont l’espace, le temps, la matière, les galaxies et les nébuleuses ; où la mort que l’on chante est celle d’une étoile. Un univers loin des sentiments humains, où la psychologie n’a pas cours... La difficulté était de ne pas plonger dans un univers à la Disney, d’être fidèle au propos scientifique tout en laissant libre cours à l’imagination.
C’est un spectacle pédagogique ?
Ce n’est pas mon but. Ce qui m’intéresse, c’est de proposer au spectateur de vivre une expérience nouvelle. Au premier acte " Fin d’une journée sur la terre ", il est invité à se balader, à contempler, écouter. Le parti pris est de lui faire perdre ses repères. Je le plonge dans l’étrangeté : il est entouré d’une toile peinte de 160 mètres de long et dix mètres de large conçue par Marie-Jeanne Gauthé, dans laquelle des papillons gigantesques (4 mètres de haut pour les plus petits) agitent doucement leurs ailes. Dans l’obscurité, l’environnement sonore vient piquer sa curiosité. Puis il est invité à emprunter les escalators pour découvrir la " Nuit Galactique " qui raconte la déflagration initiale du big bang et les premiers moments de l’univers. Les gens sont allongés sur un divan, l’histoire leur est contée par des projections sur les deux coupoles qui couvrent le hall de la Cité, accompagnées de chants lyriques. Au troisième acte, enfin, intitulé " Le premier matin du monde ", l’océan a investi tout le hall, jusqu’à recouvrir les escalators...
Premières réactions ?
Plutôt bonnes dans l’ensemble, même si le public ne se laisse pas toujours aller... Au premier acte, il reste immobile, attend que quelque chose se passe. Il faut prendre les spectateurs par la main pour qu’ils se baladent, découvrent d’eux-mêmes l’espace. Nous allons donc ajouter des éléments scénographiques pour les guider. On a encore quelques nuits de chantier devant nous ! Mais il faut toujours du temps pour qu’un spectacle se rôde. Pour la musique et l’image, les technologies très pointues demandent enfin de " derniers " petits calages. Nicolas Frize, l’auteur de la musique, affine la diffusion de sa musique, pour que tout reste cohérent aux oreilles des 500 personnes présentes... Nous devons achever toutes ces petites retouches rapidement, mais la machine est lourde, et le moindre changement prend du temps : il faut passer par toutes les démarches administratives, la commission de sécurité etc...
De quoi êtes-vous le plus satisfait ?
J’assume tout. Au premier acte, l’atmosphère " organique " correspond vraiment à ma poésie, ça me fait décoller... Mais je n’ai plus aucun recul ! Ce qui me touche surtout aujourd’hui, c’est le déplacement du public : voir 500 personnes un peu perdues, les yeux écarquillés, qui montent tout doucement l’escalator, sans savoir où on les emmène...ça m’amuse beaucoup !