Interview de J.-C. Merlin, délégué général, Conseil général des technologies de l’information.
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Quand et comment avez-vous découvert Internet ?
J’ai découvert Internet en 1995, alors que j’étais directeur général de l’APEC [Association pour l’emploi des cadres], à l’occasion d’une discussion avec une entreprise qui fournissait des offres d’emploi à l’APEC et qui m’a sensibilisé sur le rôle que pouvait jouer Internet pour aider au rapprochement entre les cadres et les entreprises (CV de cadres en ligne, offres d’emploi sur Internet, etc.).
Pourquoi vous êtes-vous impliqué dans Internet ? Quel a été le déclic ?
De formation ingénieur télécom, j’ai tout de suite compris ce qu’Internet pouvait apporter dans le domaine de l’emploi et j’ai lancé un projet de site pour l’APEC (documentation pour les cadres, offres d’emploi, etc.) qui a débouché quelques mois après mon départ, en 1997.
Quand avez-vous compris que cela allait vraiment décoller en France ?
Lorsque j’ai quitté l’APEC à la mi-1997, je suis arrivé comme ingénieur général des télécommunications au Conseil général des technologies de l’information (CGTI), au ministère de l’Industrie, où j’ai choisi de faire des rapports tournant autour d’Internet, car j’avais acquis la conviction qu’il s’agissait-là d’un moyen de communication d’avenir, appelé, à terme, à prendre la suite du Minitel (il faut dire que, dans une vie antérieure, au sein de l’ancienne Direction générale des télécommunications – l’ancêtre de France Télécom –, j’avais largement contribué au lancement du Minitel, convaincu là aussi de l’intérêt de ce moyen de communication).
Comment avez-vous vécu la période automne 1999-printemps 2000 ? Que faisiez-vous ?
J’étais encore à cette période, et j’y suis toujours, au CGTI et j’ai pu constater l’engouement que suscitait le développement d’Internet et de ses applications. J’étais toutefois un peu inquiet d’entendre le discours de certains auteurs prônant la gratuité intégrale grâce à Internet et la fin du raisonnement économique traditionnel. Je venais à peine de terminer un rapport sur la "téléphonie sur Internet" qui m’avait donné l’occasion de lire des "prédictions" telles que la disparition des opérateurs actuels de télécommunications, Internet étant censé permettre de téléphoner partout gratuitement, et je m’étais efforcé dans mon rapport de nuancer quelque peu ces prévisions...
Comment analysez-vous aujourd’hui cette frénésie de huit mois ?
J’ai le sentiment que cette période a été l’occasion pour certains de confondre "miroir aux alouettes" et véritable "innovation" avec les contraintes qui s’imposent pour son développement.
Quel a été, selon vous, le signal de la chute des dotcoms ?
Je ne sais pas s’il y a eu à proprement parler un "signal". Je pense qu’il y a eu plutôt une prise de conscience qui, comme souvent en pareil cas (au niveau des mécanismes boursiers), s’est accompagnée d’un véritable "effet d’avalanche", avec tout ce que cela implique d’exagération (phénomène bien connu du "balancier"). Un certain nombre d’acteurs financiers avaient manifestement compris que la soi-disant gratuité généralisée était un leurre et ils attendaient le moment de déclencher le mouvement...
Que faites-vous aujourd’hui ?
Comme je l’ai écrit plus haut, je suis toujours actuellement au CGTI (Conseil général des technologies de l’information) au ministère de l’...conomie, des Finances et de l’Industrie.
Croyez-vous toujours autant à Internet ?
Je crois toujours à Internet en ayant conscience que son développement doit s’opérer de manière raisonnée. J’ai en particulier l’expérience du cas du Minitel, qui m’a montré que la rémunération des services rendus (sous quelque forme que ce soit) était une condition sine qua non de développement de certains services, lorsqu’il n’y a pas d’autres enjeux commerciaux à la clé ; par rapport au Minitel, qui est resté franco-français, parce que son modèle, en avance sur son temps (c’est le modèle utilisé maintenant par les opérateurs de mobiles...), n’était guère exportable, Internet a l’avantage considérable de mettre en œuvre un standard de fait qui le rend quasi "universel" : voilà un atout qui milite pour sa pérennité.
Croyez-vous au commerce en ligne ? Croyez-vous à l’avenir du Web non marchand ?
Je crois effectivement au commerce en ligne, comme étant l’une des applications d’Internet, à condition, d’une part, de donner confiance aux acheteurs grâce à des systèmes de paiement sécurisés, d’autre part, de résoudre le problème des micro-paiements pour permettre, comme pour le Minitel, la consommation de services payants de manière occasionnelle et sous le régime de l’anonymat (ce qui va à l’encontre des systèmes d’abonnement) – c’est cela qui a permis au Minitel de "décoller" en 1985 !...
S’agissant du Web non marchand, je pense qu’il y a un créneau pour lui, pour toutes les informations diffusables à des fins de notoriété (articles scientifiques...), de publicité (informations touristiques...), pour ne citer que quelques exemples. C’est un créneau distinct de celui des informations dont le coût d’élaboration justifie qu’elles soient rendues payantes (certaines informations juridiques ou économiques, par exemple).
Comment voyez-vous les années à venir ?
Je pense qu’il y a encore de très gros progrès à faire pour "démocratiser" l’utilisation d’Internet et cela dans deux grandes directions : d’une part en termes de performances (sans parler de tout ce que permettra, dans le futur, la communication d’images vidéo à la même rapidité qu’aujourd’hui les textes, imaginons simplement un micro-ordinateur qui démarrerait en une seconde et se connecterait à Internet dans le même temps...) ; d’autre part, en termes de convivialité, c’est-à-dire de simplicité d’emploi (beaucoup reste encore à faire dans ce domaine...).
Croyez-vous toujours dans ce qu’on a appelé la netéconomie ?
Ce que l’on a appelé la netéconomie n’existe pas pour moi. Il n’y a qu’une économie. En revanche, il y a certains modèles économiques (rémunération par la publicité basée sur l’audience) qui sont exploités sur Internet, mais qui ont leur limite (ou tout au moins leur domaine de prédilection) et qu’il ne faut pas chercher à mettre à toutes les sauces...
Quelles vont être, selon vous, les futures grandes échéances et que vont-elles apporter ?
Pour moi, les futures grandes échéances concernent d’une part la généralisation des hauts débits qui, conjugués à l’accroissement des performances des ordinateurs, permettront de nouvelles applications impraticables aujourd’hui, d’autre part (mais ce n’est pas là vraiment une échéance), l’apparition de terminaux bon marché et extrêmement simples d’emploi qui contribueront au véritable développement d’Internet (nouveau souffle par rapport au palier que l’on commence à ressentir actuellement. Il y a aussi les possibilités apportées par la "mobilité" (Internet sur les téléphones mobiles), mais je ne suis pas sûr que ce soit vraiment une étape fondamentale...